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un talent véritable ; on voit qu’il a beaucoup travaillé et dans une bonne direction, mais il veut rester toujours écolier. Pourquoi, maintenant, après ses fortes études, ne cherche-t-il pas à se créer une manière originale ? Il me fait penser à nos jeunes gradués d’Oxford, qui, après s’être nourris pendant plusieurs années des classiques grecs et latins, prennent les moyens de l’art pour son but et ne veulent faire toute leur vie que des traductions.

Voici encore une traduction, mais d’une autre langue. La vision de Godefroy de Bouillon, no 1426, par M. F. de Madrazo, est l’ouvrage d’un artiste qui s’est proposé Murillo pour modèle. On en pourrait choisir de plus mauvais. Si l’on juge d’après son nom, M. de Madrazo est espagnol ; il prouve que l’affreuse guerre qui désole son pays n’y a pas détruit le sentiment des arts. Ses anges sont d’une couleur suave, quoique un peu faible, et l’élégance de leurs formes contraste heureusement avec la taille athlétique du héros chrétien. D’ailleurs, l’imitation est flagrante et dans le type des figures et dans l’exécution. Vous retrouvez ici, dans le fond sur lequel se détachent les anges, cette gloire d’un jaune foncé dont Murillo a fait le fond banal de toutes ses compositions ascétiques. La couleur de M. de Madrazo est agréable, mais n’a ni la force ni la transparence de son modèle ; ses draperies sont de papier. Il devrait étudier les procédés matériels de l’école espagnole qui ne sont pas à dédaigner, et qui seconderaient puissamment sans doute le sentiment inné en lui qui le porte vers la couleur. J’ai dit ce que je pensais des pastiches ; si M. de Madrazo persiste à copier Murillo, au lieu de s’attacher à sa dernière manière, éblouissante, il est vrai, de grace et de facilité, mais parfois lâchée et dépourvue de caractère, je voudrais qu’il étudiât ce grand maître à l’époque où son pinceau conservait encore une touche ferme et accentuée. Un des chefs-d’œuvre qui font le mieux connaître cette manière, c’est le portrait de Murillo peint par lui-même et qu’on voit dans la galerie espagnole nouvellement formée.

M. Ribera, autre artiste espagnol, je crois, qui porte un nom de bon augure dans les arts, a exposé une composition remarquable, mais empreinte encore du péché d’imitation que je reproche à son compatriote. Le sujet, tiré de l’histoire d’Espagne, est la marche au supplice d’un ministre, don Rodrigo Calderon, no 1775, décapité vers 1621. À cette époque, on perdait la tête en même temps que son portefeuille ; les mœurs se sont heureusement adoucies. — Les figures sont bien en scène, et il n’y a pas une physionomie qui ne soit