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SALON DE 1839.

français à Waterloo. Qui n’en dirait de même en voyant toutes ces statues de fer ?

En vérité, je n’ai pas le courage d’adresser des critiques aux artistes qui ont accepté ces insurmontables difficultés, et je demanderai la permission de ne pas dire un mot des batailles. J’excepterai seulement celle de Denain, par M. Alaux, no 10, où il y a du mouvement et de la couleur. On trouve un air de famille à tous ses personnages ; mais, avec des perruques et des tricornes, le moyen qu’il en soit autrement ? Qui n’a fait la remarque que tous les seigneurs du siècle de Louis XIV ressemblaient à leur auguste maître ? Tous les nègres se ressemblent pour nous, par une raison analogue.

Malgré ma répugnance pour les armures, je dois encore citer le Massacre de Nesle, no 1595, par M. E. Odier. Le mouvement de Charles-le-Téméraire, frappé de stupeur sous la malédiction de l’évêque, me paraît heureusement exprimé ; mais l’évêque est placé dans un tel éloignement et d’ailleurs tellement dans l’ombre, qu’on n’aperçoit point d’abord cette figure qui pourtant donne l’explication du tableau. Je dois louer le désordre de la scène, le pêle-mêle du pillage ; le mouvement des soldats qui envahissent l’église. Le cheval de Charles, qui hésite à s’avancer au milieu des corps étendus sous ses pieds, fait faire de tristes comparaisons entre les hommes et leurs alliés quadrupèdes. Je trouve que M. Odier n’a pas jeté assez de lumière sur la femme qui étend les bras vers le duc de Bourgogne ; son dos nu ne me semble pas assez franchement coloré.

Gilbert mourant à l’Hôtel-Dieu, no 1535, tel est le sujet qu’a traité M. Monvoisin, sans reculer devant aucune des difficultés qu’il présentait. Tous les détails vulgaires et presque ignobles d’un hôpital, les bonnets de nuit, les rideaux de serge, les couvertures sales, tout cela a été abordé hardiment, et pour moi, le résultat est un succès. Ce tableau est profondément triste comme la scène qu’il reproduit, et, de même que dans la nature, la présence de la mort y ennoblit tout. Malgré la figure très commune du poète, exigée sans doute par la vérité historique, l’inspiration y brille et l’on peut oublier sa laideur. Assise auprès de lui, une jeune sœur de la Charité le contemple avec un mélange de pitié et de terreur. Son expression est parfaitement sentie. Toute cette scène de douleur porte un accent de vérité qui désarme la critique, car ce que gagnerait la composition à devenir plus pittoresque, ce ne serait qu’au prix de nombreux mensonges, et alors disparaîtrait son principal mérite. Ce serait comme un drame bourgeois mis en vers. On peut cependant reprocher à