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dont l’original était un alderman grand gastronome, figure commune s’il en fut ; je ne l’avais pas flatté. « Parlez-lui soupe à la tortue et venaison, me dit sir Thomas, vous le réveillerez. » Puis quittant la plaisanterie : « Il n’y a personne, dit-il, qui soit toujours laid ou toujours beau. Ce qu’il importe de rendre, ce n’est pas seulement le modelé du visage, mais son expression, et l’art du peintre c’est de saisir la meilleure expression de son modèle. Tâchez donc qu’il oublie qu’il pose, faites en sorte que ses pensées se portent sur le sujet qui l’intéresse, et alors que toute votre attention, toutes les facultés de votre mémoire soient à l’œuvre pour exprimer les mouvemens fugitifs des muscles qui constituent la physionomie. Après quelques années d’études, tout homme peut copier un œil : Titien peint un regard. »

Que le lecteur veuille bien me pardonner cette longue digression sur un homme dont le souvenir me sera toujours cher ; elle a d’ailleurs pour but de prouver combien il est difficile de faire un bon portrait, et combien plus difficile de faire celui d’un roi ; car le pauvre artiste n’a pas alors la ressource d’essayer avec son auguste modèle tous les sujets de conversation, pour trouver celui qui donne à la physionomie cette animation qu’il faut pour ainsi dire saisir au vol. D’où je conclus que l’on doit excuser M. Winterhalter, si ses portraits officiels ont un peu de froideur. Celui du Roi est assurément bien composé et d’une grande ressemblance, mais dépourvu d’expression. Toutes les personnes qui ont vu Sa Majesté, même dans les réceptions purement officielles, lorsqu’elle s’entretient avec quelqu’un des personnages éminens de ce pays, ont pu remarquer l’animation de sa physionomie. Je ne la retrouve pas dans ce portrait. La couleur de M. Winterhalter a peu de ressort, et la tête de Sa Majesté ne se détache pas du fond. Ce fond d’ailleurs est froid et d’un effet peu agréable.

La tête de M. le duc de Nemours a plus de vie mais tous ses traits me paraissent grossis, et, si j’ose le dire, vulgarisés. J’ai entendu un tailleur de Londres, qui fait son tour de continent, critiquer l’habit du prince et avec raison. On s’aperçoit trop qu’il a été copié sur le mannequin.

M. Winterhalter a été plus heureux dans le portrait de Mme la duchesse d’Orléans, et cependant il n’a pu lui donner complètement ni l’expression fine et spirituelle, ni l’air parfaitement grande dame qui la caractérise. À ce qu’il me semble, il choisit mal ses fonds. Son rideau