Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
REVUE DES DEUX MONDES.

comme à une vérité, mais comme à une coutume, non pour honorer ainsi les dieux, mais pour satisfaire aux lois ; » elle a de plus nobles pensées. « Jupiter n’est pas ce colosse doré qui tient au Capitole une foudre de métal ; les dieux ne sont pas ce que les font les poètes, aussi criminels que les hommes et plus puissans dans le crime ; intolérable perturbation de toutes les idées, qui fait que le vulgaire estime les dieux au niveau de ses propres vices. Cette tourbe ignoble de dieux entassés par des siècles de superstition, les uns que les poètes ont mariés quelquefois entre frères et sœurs, les autres qui n’ont pas trouvé de parti à leur bienséance et sont restés dans le célibat ; des déesses qui sont restées veuves, comme la déesse Foudre et la déesse Ravage, auxquelles il n’est pas étonnant que les prétendans aient manqué, » adorerez-vous tout cela de bonne foi ? « Croyez aux dieux, reconnaissez leur majesté sainte, reconnaissez leur bonté, sans laquelle leur majesté n’est pas[1]. Aimez-les[2], soyez soumis à leur providence, qui gouverne le monde. Obéir à Dieu, c’est la liberté[3]. Laissez là les grasses victimes, les immolations de troupeaux entiers ; adorez par une volonté droite et bonne[4] ; donnez aux dieux ce qu’avec toute son opulence le fils de Messala ne peut leur donner, une pensée respectueuse pour la justice et pour le ciel, un cœur tout imprégné de noblesse et de vertu. » Laissez là ces prières honteuses d’elles-mêmes qui se retournent pour voir si on les écoute. « Ne chuchotez pas à l’oreille des dieux ; vivez à vœu découvert[5]. »

Je ne saurais donner à cette époque tout le développement dont elle aurait besoin. Il faudrait recueillir, s’il y en a, quelques faibles lumières dans l’histoire apocryphe d’Apollonius, roman anti-chrétien du sophiste Philostrate, évidente et grossière parodie de l’Évangile, où le rhéteur d’Athènes ressuscite, au bout de plus d’un siècle, la mémoire de ce messie mort sans disciples, et l’accommode aux prétentions thaumaturgiques du néoplatonisme de son temps ; histoire qui appartient à une autre époque, non à celle où elle se serait passée, mais à celle où elle a été faite. Il faudrait encore remonter de trois ou quatre siècles et soulever une histoire toute particulière, celle de la communication entre le judaïsme et la philosophie grecque,

  1. Sénèque, apud Augustin., De Civitate Dei, VI, 10. — De Benef., VII, 2. Ep. 96.
  2. Deus amatur. (Ep. 42.) — Voyez aussi Ep. 47, etc.
  3. Parere Deo, libertas est. (De Vitâ beatâ, 15.)
  4. Colite in piâ et rectâ voluntate. (Benef., I, 6. Ep. 116.) — Il faut adorer en esprit et en vérité. (Joan., IV, 26.)
  5. Et aperto vivere voto. (Perse, II)