Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/272

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
REVUE DES DEUX MONDES.

d’action qui reste aujourd’hui au gouvernement, laisser mettre l’interdit sur les fonctionnaires dont on ébranle déjà chaque jour les principes d’obéissance, ce serait donner les mains à la désorganisation totale du pays.

Nous avons été frappés des paroles qui ont été prononcées par M. Odilon Barrot à l’occasion de la vérification des pouvoirs, parce que ses vues sont les seules peut-être qui se soient élevées un peu plus haut que la région des répugnances personnelles et des caquets électoraux. Avec sa supériorité d’esprit ordinaire, M. Odilon Barrot a élargi le cercle de la discussion, et s’est attaché à la faire remonter à un principe. Comme tous les grands théoriciens, M. Odilon Barrot n’a pas eu de peine à définir les bases sur lesquelles doit s’appuyer l’élection dans un régime de loyauté et de franchise. Il a déploré que la nature du débat sur les faits eût pris une tournure aussi irritante, et eût produit des colères si puériles ; et, pour remédier au mal, pour terminer d’un coup ce débat scandaleux, M. Odilon Barrot a proposé la formation d’une commission d’enquête, prise dans la chambre, et chargée d’aller, hors de la chambre, recueillir les témoignages, examiner les correspondances, interroger les fonctionnaires, en un mot, exercer une inquisition parlementaire dans les quatre-vingt-six départemens !

En théorie, — et les pensées de gouvernement ne manquent jamais à l’illustre orateur en théorie, — M. Odilon Barrot reconnaissait que la chambre doit se garder d’envahir les attributions d’un autre pouvoir, et il ajoutait que, dans sa conviction, l’autre pouvoir, comme il nomme le pouvoir royal, se trouve dans une situation telle, qu’il est urgent de lui restituer toute sa puissance, « de l’enlever à cette espèce d’abdication de fait dans laquelle il s’est placé. » Nous citons les propres paroles de M. Odilon Barrot.

Voilà pour la théorie. Comme application, M. Odilon Barrot propose en conséquence de créer un comité d’enquête, c’est-à-dire de diminuer encore les autres pouvoirs en s’emparant, pour la chambre élective, d’une puissance que ne lui donne pas la constitution. Mais, dit M. Barrot en citant un mot déjà connu, « en matière de vérification de pouvoirs, la chambre est souveraine ; elle ne relève, elle ne peut relever que d’elle-même ! »

Le moment est singulièrement choisi, on en conviendra, pour appuyer sur cette souveraineté de la chambre, et en exagérer l’exercice, quand on reconnaît soi-même que le pouvoir royal, qui s’efface de son gré devant la chambre, a besoin qu’on lui rende son influence et sa force ! C’est quand la chambre, qu’on a déjà grisée (qu’on nous passe le terme) de ce mot souveraineté, est dans l’embarras de la puissance dont elle dispose, qu’on veut étendre cette puissance hors de son sein ; c’est quand des obstacles sans nombre compliquent la situation des affaires politiques, qu’on propose à la chambre de procéder à l’œuvre la plus inextricable et la plus compliquée ! Et le tout pour restituer au pouvoir royal la puissance qu’il semble avoir un instant abdiquée, afin de laisser plus de latitude au pouvoir parlementaire ! Franchement, il y a là un trop grand contraste entre la théorie et l’applica-