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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

nombreuse ; il avait plusieurs frères, outre celui que nous connaissons. Tandis que le comte Joseph, dans de fortes études qui semblaient tenir tout d’une pièce à l’époque d’Antoine Favre et du XVIe siècle, suivait en magistrat gentilhomme la carrière parlementaire et sénatoriale, le comte Xavier entra au service militaire ; sa jeunesse se passa un peu au hasard dans diverses garnisons du Piémont. Les goûts littéraires dominaient-ils en lui et remplissaient-ils tous ses loisirs ? — « Je dois à la vérité d’avouer, répondait-il un jour en souriant à quelques-unes de mes questions d’origines, que dans cet espace de temps j’ai fait consciencieusement la vie de garnison sans songer à écrire et assez rarement à lire ; il est probable que vous n’auriez jamais entendu parler de moi sans la circonstance indiquée dans mon Voyage autour de ma Chambre, et qui me fit garder les arrêts pendant quelque temps[1]. » Avant ce voyage ingénieux, il en avait fait un autre plus hardi et moins enfermé, un voyage aéronautique ; il partit d’une campagne près de Chambéry, en ballon, et alla s’abattre à deux ou trois lieues de là. Des arrêts pour un duel, un voyage à la Montgolfier, voilà de grandes vivacités de jeunesse. Il avait vingt-six ou vingt-sept ans, et était officier au régiment de marine en garnison à Alexandrie, lorsqu’il écrivit le Voyage autour de ma Chambre ; quelques allusions pourtant se rapportent à une date postérieure ; il le garda quelques années dans son tiroir et y ajoutait un chapitre de temps en temps. Dans une visite qu’il fit à son frère Joseph, à Lausanne, vers 94 ou 95, il lui porta le manuscrit : « Mon frère, dit-il, était mon parrain et mon protecteur ; il me loua de la nouvelle occupation que je m’étais donnée et garda le brouillon qu’il mit en ordre après mon départ. J’en reçus bientôt un exemplaire imprimé, et j’eus la surprise qu’éprouverait un père en revoyant adulte un enfant laissé en nourrice. J’en fus très satisfait, et je commençai aussitôt l’Expédition nocturne ; mais mon frère, à qui je fis part de mon dessein, m’en détourna : il m’écrivit que je détruirais tout le prix que pouvait avoir cette bluette, en la continuant ; il me parla d’un proverbe espagnol qui dit que toutes les secondes parties sont mauvaises, et me conseilla de chercher quelque autre sujet : je n’y pensai plus. »

En relisant cet agréable Voyage, on apprend à en connaître l’auteur mieux que s’il se confessait à nous directement : c’est une manière de confession d’ailleurs, sous air de demi-raillerie. Une douce

  1. Au chapitre III, où il donne la logique du duel.