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Le domaine des faits durables acquis à la médecine est donc très réel et très grand ; quiconque voudra réfléchir avec l’attention et la bonne foi nécessaires, et distinguer les faits généraux, les faits principes, les faits qui font loi et qui sont la règle de tous les autres, des notions hypothétiques et conjecturales qui s’y mêlent dans la pratique de chaque médecin, celui-là prendra de la science médicale une idée digne et grande : il la reconnaîtra pour une science antique, une science perpétuée, ayant ses dogmes fondamentaux, ses méthodes, ses procédés, ses moyens de progrès. Medicina non humani ingenii partus, sed temporis filia.

Maintenant, qu’est-ce, en médecine, que ces hommes qui, au lieu de continuer la science, font effort pour l’arrêter et la recommencer, qui, au lieu d’en être les pères, en sont les réformateurs, les novateurs, les révolutionnaires ? Ce sont ceux qui ne se contentent point d’observer les faits dans leur simplicité, d’en rechercher et d’en constater l’enchaînement naturel, et d’en tirer des inductions légitimes. Que font ces hommes ? Possédés d’une ardeur de systématisation absolue, ils s’attachent ou à un ordre de faits partiels auquel ils veulent rallier tous les phénomènes de la vie, ou à une hypothèse créée par leur esprit, répondant plus ou moins mal à ce qui se passe dans la nature, et qu’ils donnent pour explication à tous les faits vitaux. Reconnaissons-le d’abord, ce besoin d’explications, d’hypothèses, de conjectures, s’il se tient dans de certains termes, a son utilité ; et il doit en être ainsi, puisque c’est un invincible besoin de notre esprit, puisque les intelligences les plus clairvoyantes et les plus sages, en cherchant à faire rentrer les faits particuliers dans des faits plus généraux, ne sont exemptes ni de conjectures aventureuses, ni d’hypothèses illusoires. Mais cette utilité devient danger, devient erreur, dès que l’hypothèse ou la conjecture ne se reconnaît plus pour hypothèse ou pour conjecture, dès qu’elle se personnifie et se substantialise, dès qu’elle se fait centre de tout, qu’elle se pose comme cause réelle et unique de tous les phénomènes. Nous allons facilement nous faire comprendre. Prenons pour exemple le système des mécaniciens et celui des chimistes : les premiers ne voient dans le corps humain que des phénomènes mécaniques, et trouvent dans l’arrangement mécanique de ce corps une raison suffisante de tous les mouvemens vitaux ; les seconds expliquent tout par les affinités chimiques. Il y a dans ces systèmes une partie de vérité, puisque plusieurs des phénomènes de la vie peuvent en effet s’expliquer par les simples lois physiques et par les affinités chimiques mais c’est pousser la conjecture