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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

ont joui d’une grande popularité. La facilité et la fécondité faisaient partie de son talent, comme elles font partie, en général, de tous les grands et vrais talens. Il y a toujours dans chaque science spéciale, ainsi que dans les lettres et dans la politique, quelques hommes dont les paroles sont toutes attendues et recueillies avec avidité par le public : Broussais était un de ces hommes. Même aux temps de sa décadence, même lorsque sa doctrine n’avait plus cours, ni parmi les médecins, ni parmi les étudians, ceux de ses ouvrages qui attirèrent le plus sur lui la sévérité de la critique, étaient lus et commentés dès leur apparition. On doit dire pourtant, sans vouloir rien ôter à son talent d’écrivain, que cette disposition du public tenait en grande partie à sa manière personnelle d’attaquer les questions. Son style, en effet, comme celui des deux plus grands prosateurs de notre époque, ses deux compatriotes, Châteaubriand et La Mennais, son style est personnel et guerroyant. Tout comme on a appelé La Mennais l’abbé guerroyant (the warlike abbot), on pourrait appeler Broussais le médecin guerroyant (the warlike physician). Chaque ouvrage nouveau, chaque brochure nouvelle était, à la lettre, une déclaration de guerre ou une nouvelle entrée en campagne. Ce n’était point un médecin apportant au public le fruit de ses observations et de ses méditations, ayant envisagé sous toutes ses faces un point de doctrine ou un point de pratique, voyant avec pénétration et sincérité le fort et le faible de l’idée qu’il apporte, comprenant et faisant comprendre avec calme les indications et les contre-indications d’une méthode de traitement ; ce n’était point non plus un de ces observateurs qui vous peignent tellement au vrai ce qui a passé sous leurs yeux, que les conséquences en sortent en quelque façon d’elles-mêmes, de ces hommes qui vous disent : « Voilà ce que j’ai vu, voyez ! » Ce n’était ni Van-Swieten, ni Sydenham ; non, mais un homme ayant saisi à l’amphithéâtre, au lit du malade, ou dans son cabinet, une idée, un fait, et ne concevant plus dès-lors qu’il y ait autre chose que cette idée, que ce fait ; voyant le sort de la triste humanité compromis, si tout ne cède à sa parole. Donc il attaque, donc il renverse tout ce qui se trouve devant lui. Il ne sait pas tout d’abord où il va ; mais quand il voit jusqu’où il a été, il juge qu’il a