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son attention sur des phénomènes réels et observables, sur l’état des viscères et la réaction des organes, on avait substantialisé des abstractions de l’esprit, on avait créé des êtres qu’on s’était ensuite mis à combattre. Ainsi Brown, qui ne voyait que faiblesse dans toutes les maladies, avait fait de la faiblesse un être indépendant de l’état des organes ; il n’avait pas vu qu’en faisant cesser un certain état des organes, il faisait cesser la faiblesse, que conséquemment la faiblesse n’avait pas d’existence propre et essentielle : ainsi les nosologistes, tels que Sauvage et Pinel, qui avaient groupé ensemble un certain nombre de phénomènes extérieurs, de symptômes, pour leur imposer le nom d’une maladie, avaient fait de ces abstractions de leur esprit des êtres qu’ils avaient décorés d’un nom ; ils n’avaient pas vu que ces caractérisations extérieures des maladies ne sont pas la maladie, et peuvent appartenir à des affections très différentes par leur nature. Tout cela était ontologie et rien qu’ontologie ! À notre sens, c’était là un principe très juste, une idée féconde jetée dans le champ de la critique médicale : il est très vrai que quelques différences extérieures ne constituent pas des différences essentielles entre les maladies ; que, pour la cure des maladies, nous devons chercher à connaître leur nature, autant que cela nous est possible ; que cette nature des maladies nous est manifestée par des circonstances caractéristiques qui sont autre chose que de simples symptômes. Ainsi les fièvres exanthématiques, les fièvres intermittentes peuvent donner lieu à des symptômes très différens sans changer de nature ; une phlegmasie, une névralgie, font naître des phénomènes extérieurs qui varient suivant leur siége, sans pour cela que leur nature ait changé. Quelques erreurs que Broussais ait pu ensuite commettre lui-même sur la nature des maladies, à quelques écarts ontologiques qu’il ait pu se laisser aller, cette critique était très fondée ; elle a fait beaucoup réfléchir sur ce qu’il y avait d’arbitraire, d’imaginaire dans un grand nombre de définitions et de classifications en usage ; elle a rendu de grands services à la science ; et il faut encore souvent admirer Broussais dans la poursuite qu’il fait de tous ces êtres imaginaires qui peuplaient le monde médical, lorsqu’il représente les médecins tremblans devant ces fantômes, et n’osant pas, dit-il, verser une goutte de sang, lorsqu’il nous montre ces pauvres gens croyant toujours voir l’ataxie et l’adynamie cachées derrière les rideaux du malade et leur tendant des piéges avec une infernale malice. Quand ces reproches tombent juste, comme quand il s’agit de Brown et même de Pinel, la polémique de Broussais est d’une puissance ex-