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claire, logique, naturelle ? — Mais la nature n’a pas cette simplicité ; la vie n’est pas l’irritabilité, car on ne soutient pas un homme vivant avec des irritans, comme l’éther ou l’alcool ; les phénomènes morbides ne sont pas toujours des phénomènes sympathiques, car on ne fait pas passer une inflammation d’un organe sur un autre, et l’on n’a aucune action sur un cancer de la mamelle en mettant un vésicatoire à quelque distance de là. — La pathologie n’est pas dans la physiologie : elle a son observation comme la physiologie a la sienne, et la physiologie broussaisienne n’est pas la vraie physiologie.

Autant donc il a été juste d’admirer M. Broussais dans sa critique, et de lire avec attrait les pages, tantôt étincelantes, tantôt romanesques, de sa physiologie pathologique, autant il est permis de trouver faible et insoutenable la conception de son système de médecine pratique. On a dit récemment avec sévérité, mais avec vérité, que de tous les systèmes faits en médecine, c’était peut-être le plus faible, celui qui soutenait le moins l’examen et l’épreuve de la pratique. L’influence de ce système a été grande et elle dure encore ; cette influence ; nous l’avons déjà dit, a été due au talent personnel de son auteur et au caractère particulier de son talent ; mais l’abus où cette doctrine a été poussée dans la pratique, les malheurs qu’elle a produits, et la série de maladies chroniques qu’elle a fait naître, ont donné l’éveil aux observateurs. On est revenu sur les observations cliniques et anatomiques de Broussais, on les a trouvées superficielles, hâtives, passionnées, et, tout en en prenant le vrai, on en a rejeté le faux, le systématique, le dangereux. Quoique cette doctrine ait laissé encore un grand nombre de praticiens dans une préoccupation fâcheuse qui leur ôte de la liberté au lit du malade, quoique nos campagnes soient encore peuplées de petits médecins qui trouvent plus commode d’avoir des idées faites en descendant de cheval que de réfléchir, et qui aiment mieux panser des organes que de contempler les actes de la nature vivante pour en saisir les lois ; — malgré cela, disons-nous, la médecine physiologique a fait son temps. Les esprits, désabusés d’un système si éloigné d’avoir tenu ses promesses, comprennent qu’il y a lieu de remonter plus haut que M. Broussais pour trouver les bases de la médecine. La préoccupation s’est dissipée, la science peut aujourd’hui reprendre son cours.


H. Gouraud.