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et une ferme qu’il exploite lui-même, car ses revenus sont si modiques, qu’il pourrait à peine subsister, s’il ne vivait de la vie de paysan, s’il n’avait comme eux sa récolte de foin et son troupeau. L’état lui donne 75 francs par an. Il en reçoit 40 du fonds ecclésiastique, et vingt-huit tonnes de grain, évaluées à peu près à 600 francs. Le Lapon qui possède trente rennes doit lui en donner un demi chaque année, plus deux paires de gants et un fromage. Le colon finlandais ou nybyggare lui donne une livre de poisson, deux paires de gants, et une livre de beurre. Son casuel est très précaire et très minime. D’après la taxe générale, il doit percevoir 30 sols pour un enterrement, 30 pour un mariage, autant pour un baptême ; mais la plupart de ses paroissiens sont si pauvres, que souvent ils ne peuvent lui payer ce léger tribut. Dans une habitation isolée comme celle-ci, où tout ce qui sert aux besoins de la vie journalière doit être apporté de loin et payé fort cher, avec ces fractions de dîme, ces tonnes d’orge, ces casuels mal assurés, le prêtre ne parvient qu’avec une rigide économie à pourvoir à l’entretien de sa famille. Le jour où nous entrâmes chez lui, et où nous déposâmes sur sa table un de nos flacons de voyage : — Voilà la première fois, nous dit-il, qu’on boit du vin dans cette maison. — Comme les paysans, il ne boit ordinairement que du lait, il ne mange que du pain d’orge, du poisson, et de temps à autre de la chair de renne.

Nous aurions eu pitié de cette existence de prêtre dans cette triste et froide habitation, si nous n’avions vu la veille celle du missionnaire. Cet homme, qui a fait comme le prêtre des études universitaires et qui doit au besoin le remplacer, reçoit chaque année vingt-cinq tonnes de grain, rien de plus. Il voyage tout l’hiver dans les montagnes pour surveiller les catéchistes[1], examiner l’instruction qu’ils donnent aux Lapons, et les aider de ses encouragemens, de ses conseils. Il va d’une tente à l’autre par le froid, par la neige, couche au milieu de la fumée, et partage la misérable existence de la famille nomade. Nous entrâmes dans une chambre étroite, l’unique chambre de la maison. Nous trouvâmes là un homme jeune encore, mais faible et maladif, déjà chauve et aveugle à demi ; c’était le missionnaire. Il avait devant lui une tasse de lait, une galette d’orge, et un livre qu’il lisait comme un ermite des anciens temps, en prenant son frugal repas. Près de son lit étaient placés quelques rayons de bibliothèque, où nous aperçûmes des classiques latins et suédois, les poésies de Tegner, de Franzen, et l’histoire de Suède, de Geiier. Il n’avait pu acheter ces ouvrages que par de nombreuses privations ; mais c’était là son cercle d’amis, sa consolation, sa joie. Il nous montra avec un sentiment d’affection chacun de ces livres qu’il avait souvent lus et relus d’un bout à l’autre. Il nous raconta ses pèlerinages d’hiver, ses

  1. Tout ce qui a rapport aux fonctions des missionnaires et à celles des catéchistes sera expliqué plus en détail dans un article que nous publierons prochainement sur l’instruction du peuple en Laponie.