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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

province, et de quel intérêt il était pour la Suède de la conserver. Aussi, pendant près de huit siècles, ces deux puissances n’ont cessé de se la disputer. L’une et l’autre la regardaient comme un rempart nécessaire pour se préserver de tout envahissement. Le rempart est maintenant du côté de la Russie, et les Suédois ne prononcent encore qu’avec un amer ressentiment le nom de leur malheureux Gustave IV, qui, par sa folle témérité, leur fit perdre cette province, à laquelle ils étaient unis par les liens de l’intérêt politique et de l’affection. Plusieurs fois déjà quelques-uns de ces hommes qui se passionnent pour un rêve ont exprimé le désir chevaleresque de voir Charles XIV convoquer le ban et l’arrière-ban de ses armées pour anéantir le traité de 1809 et reprendre cette province, que la Suède appelle encore sa sœur. Leur projet de conquête, leur plan de campagne n’est qu’une utopie. La Suède n’est pas assez forte pour entreprendre une guerre pareille, et la Finlande, qui a combattu si opiniâtrement autrefois pour repousser la domination russe, ne ferait vraisemblablement aucun effort aujourd’hui pour s’en affranchir. Il est bien vrai que les Finlandais conservent encore une profonde sympathie pour le royaume dont ils ont long-temps partagé la bonne et la mauvaise fortune ; mais, comme l’a très bien fait observer un publiciste suédois, l’intérêt du présent, l’espoir de l’avenir, neutralisent déjà dans leur cœur les souvenirs du passé[1]. Les principaux habitans du pays ont été ralliés au parti russe par des places et des décorations, d’autres par un allégement dans les redevances des biens seigneuriaux, tous par l’attrait d’une constitution. La Finlande a d’ailleurs éprouvé, dans ses longs momens de crise, que la Suède pouvait à peine la défendre. Livrée pendant plusieurs siècles au pillage des Russes, elle a transigé avec ses haines nationales, et, pour conserver son bien-être matériel, elle s’abandonne maintenant à la protection de ceux qui l’envahissaient autrefois.

Nous ne faisons ici que toucher en passant une question importante, qui, par ses ramifications, tient au système politique du Nord entier. Nous y reviendrons plus tard d’une manière toute spéciale.

De Drontheim au cap Nord, nous avions vu la végétation décroître graduellement, s’affaisser, disparaître. En descendant le Muonio, nous la vîmes renaître et grandir. Les deux bords du fleuve sont plats comme les plaines de Hollande et couverts de verdure. D’abord on entre dans les régions des bouleaux, puis, à quelques milles de distance, on voit surgir des pins à la tête arrondie, à la tige légère, comme ceux que l’on rencontre après avoir traversé le Dovre. Un peu plus loin, on aperçoit des sapins élancés, menus, portant des branches courtes, pareils aux perches de houblon qui entourent les collines de Bamberg. Dans certains endroits, ces sapins sont mêlés aux bouleaux dont le feuillage commence à jaunir, et ces longues tiges, debout au milieu des branches mobiles qui flottent à tous les vents, présentent un

  1. Om Allians-Tractaten emellan Sverige och Ryssland ar 1812.