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joli coup d’œil. Mais bientôt la végétation des bouleaux diminue, s’efface, et là où elle s’arrête, là s’arrête aussi la Laponie. Dès ce moment toute la côte, jusqu’aux environs d’Umea, n’est connue que sous le nom de Nordbothnie, et l’on ne retrouve la vraie vie laponne qu’à une assez longue distance de la mer.

À mesure que la végétation augmente, les habitations reparaissent plus grandes et plus nombreuses. De distance en distance, on distingue sur le rivage la ferme finlandaise avec les petites cabanes qui l’entourent. Les hommes travaillent dans les champs, et les femmes s’en vont, le râteau sur l’épaule, recueillir le foin qu’ils ont fauché le matin. À moitié chemin, nous entrons dans une de ces fermes. Tous ceux qui l’habitent sont loin, mais la porte est ouverte. Le feu brille dans la cheminée et les jattes de lait frais sont posées sur la table. Le vol est si rare parmi les habitans de ce pays, qu’ils ne le redoutent pas, et, lorsqu’ils sortent, ils laissent leur maison ouverte, comme si, même pendant leur absence, ils ne voulaient pas se priver du plaisir d’offrir un asile à l’étranger qui passe.

Après ces habitations éparses, nous rencontrons trois grands hameaux : celui de Kœttisuvando, placé dans une situation pittoresque au bord du fleuve ; celui d’Œfver-Muonio, et celui de Muonioniska, chef-lieu d’un pastorat considérable, appartenant à la Russie. Il y a là un paysan qui, d’après certaines conventions faites avec l’autorité du canton, est tenu de loger les voyageurs et de les héberger. Le hœrradshœfding a oublié de lui prescrire les précautions qu’il devrait prendre pour que les malheureux étrangers qui lui arrivent n’eussent pas du moins à regretter l’abri des bois, et l’aubergiste, en homme de conscience, s’en est tenu aux termes du traité. Il n’y a rien à attendre ni de sa cave ni de son armoire ; mais à quelque heure du jour qu’on vienne le surprendre, on est à peu près sûr de trouver chez lui une couche de paille, du pain noir et du lait caillé en abondance.

Dans ce hameau et dans les hameaux voisins situés sur l’autre rive, les paysans ne se contentent plus de récolter du foin, d’élever des bestiaux. Ils veulent semer de l’orge, et cette ambition agricole les plonge souvent dans la misère. Souvent la moisson, surprise par le froid, ne peut pas mûrir. Ils récoltent leur orge à moitié vert. Ils le portent dans une espèce de four et le font sécher à un feu ardent, puis ils le battent et le pétrissent avec la paille. On nous a montré le pain qu’ils mangent la plupart du temps : c’est une galette de paille jaune où il n’entre guère qu’un quart de farine. Un autre malheur dans leurs années de disette, c’est que ces épis avortés dont ils parviennent si difficilement à faire du pain, ne peuvent leur donner de semence pour l’année suivante. Ils sont obligés de l’acheter, et ils la paient cher.

Plusieurs fois les hommes intelligens du pays leur ont représenté combien il vaudrait mieux renoncer à cette funeste culture, mettre leurs champs en prairie et se livrer à l’éducation des bestiaux qui les enrichit presque toujours ; mais toutes ces remontrances sont inutiles. Le paysan répond qu’il veut faire