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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

la foi en quelque chose ou en quelqu’un. Comme on ne croyait plus aux idées, M. de Talleyrand comprit qu’on allait croire aux personnes. Il reconnut l’objet du culte nouveau dans ce jeune général, déjà tout environné de l’auréole de feu des batailles, formé à cette école de la guerre d’où sortent les plus grands hommes, qui y apprennent à penser vite, à agir avec précision, à disposer des hommes, à traiter avec les gouvernemens, à décider du sort des empires, et à se posséder au milieu des plus terribles extrémités. Aussi, lorsque le vainqueur d’Italie revint à Paris après avoir gagné cinq grandes batailles, détruit quatre armées ennemies, fait cent cinquante mille prisonniers, pris cent soixante-dix drapeaux et plus de six mille pièces de canon, forcé les gouvernements italiens à la soumission et la maison impériale d’Autriche à la paix, les espérances comme les admirations commencèrent à se tourner vers lui. On ne l’appelait que le jeune héros, et dans l’ovation qui lui fut préparée au Luxembourg, lorsqu’il alla porter au directoire, au milieu des drapeaux qu’il avait conquis et du bruit presque royal du canon, le traité de Campo-Formio, M. de Talleyrand, qui le présenta au directoire comme ministre des relations extérieures, annonça hautement ses destinées prochaines. Il ne craignit pas de dire : — « Loin de redouter ce qu’on voudrait appeler son ambition, je sens qu’il nous faudra peut-être un jour la solliciter. »

Aussi, après le retour d’Égypte, M. de Talleyrand, qui depuis six mois avait cessé d’être ministre du directoire, s’entendit avec le général Bonaparte et le directeur Sieyès pour opérer le 18 brumaire. Ayant participé à l’entreprise qui venait de fonder un gouvernement, il s’associa au système qui restaura l’ordre social. Nommé de nouveau ministre des relations extérieures, il eut une assez grande influence sur la politique du premier consul par la vivacité de son admiration, la prudence de ses avis et la conformité de leurs pensées. Il savait à la fois le flatter et le conseiller. Il le quittait rarement, et lorsqu’il fut obligé, dans l’été de 1801, d’aller aux eaux de Bourbon-l’Archambaud, il lui écrivit : « Je pars avec le regret de m’éloigner de vous, car mon dévouement aux grandes vues qui vous animent n’est pas inutile à leur accomplissement. » — « Du reste, ajoutait-il, quand ce que vous pensez, ce que vous méditez et ce que je vous vois faire ne serait qu’un spectacle, je sens que l’absence que je vais faire serait pour moi la plus sensible des privations. »

Associé aux divers projets du premier consul, il l’aida à accomplir la pacification religieuse par la négociation du concordat. Ce fut