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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/459

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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

ditaire, afin que sa vie devînt plus sûre. Mais la fondation de l’empire entraînait au dehors un changement de système à l’égard des républiques confédérées qui devait conduire à la guerre. La première république érigée en royaume fut la Cisalpine. L’Autriche, qui n’attendait qu’un prétexte ; la Russie, qui ne demandait qu’une avant-garde, se déclarèrent sur-le-champ ; et, sans la rapidité des coups que leur porta l’empereur, la Prusse, qui hésitait, se serait jointe à elles. Lorsque Napoléon partit pour cette immortelle campagne, M. de Talleyrand se rapprocha des bivouacs, afin que l’homme de la paix fût toujours près de l’homme de la victoire. Il était à Strasbourg, quand il apprit que, par une savante marche, l’empereur venait de faire mettre bas les armes dans Ulm à toute une armée autrichienne. C’est alors que, regardant le succès comme infaillible, il adressa à l’empereur un plan de traité avec l’Autriche, et lui proposa un vaste arrangement de l’Europe. Ce plan, entièrement écrit de sa main, et jusqu’à ce jour inconnu, mérite de fixer l’attention de l’histoire. Je dois donc m’y arrêter.

« Il ne m’appartient point, disait M. de Talleyrand à l’empereur, de rechercher quel était le meilleur système de guerre : votre majesté le révèle en ce moment à ses ennemis et à l’Europe étonnée. Mais, voulant lui offrir un tribut de mon zèle, j’ai médité sur la paix future, objet qui, étant dans l’ordre de mes fonctions, a de plus un attrait particulier pour moi, puisqu’il se lie plus étroitement au bonheur de votre majesté. » Lui exposant alors ses vues, il ajoutait qu’il y avait en Europe quatre grandes puissances, la France, l’Autriche, l’Angleterre, la Russie, — la Prusse n’ayant été placée un instant sur la même ligne que par le génie de Frédéric II ; que la France était la seule puissance parfaite (ce sont ses expressions), parce que seule elle réunissait dans une juste proportion les deux élémens de grandeur qui étaient inégalement répartis entre les autres, les richesses et les hommes ; que l’Autriche et l’Angleterre étaient alors les ennemies naturelles de la France, et la Russie son ennemie indirecte par la sollicitation des deux autres et par ses projets sur l’empire ottoman ; que l’Autriche, tant qu’elle ne serait pas en rivalité avec la Russie, et la Russie, tant qu’elle resterait en contact avec la Porte, seraient facilement unies par l’Angleterre dans une alliance commune ; que du maintien d’un tel système de rapports entre les grands états de l’Europe naîtraient des causes permanentes de guerre ; que les paix ne seraient que des trêves, et que l’effusion du sang humain ne serait jamais que suspendue.