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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/464

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REVUE DES DEUX MONDES.

péens ; à Francfort, il aurait conservé les limites naturelles de la France. Les propositions de Francfort, faites par M. de Metternich au nom de l’Autriche, lord Aberdeen au nom de l’Angleterre, M. de Nesselrode au nom de la Russie, se portant fort pour M. de Hardenberg au nom de la Prusse, furent les dernières propositions raisonnables que l’Europe coalisée et victorieuse offrit, le 10 novembre 1813, à Napoléon isolé, vaincu, mais encore puissant.

D’après ces propositions à jamais regrettables, les souverains alliés étaient unanimement d’accord (c’était leur propre langage) sur la puissance et la prépondérance que la France devait conserver dans son intégrité, en se renfermant dans ses limites naturelles, qui étaient le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. Ils assuraient donc vouloir fonder sur l’indépendance continentale et maritime de toutes les nations la paix et l’équilibre du monde. Équitable et habile projet, bien différent de celui qui fut exécuté quelques mois plus tard ! Aucun grand intérêt n’était sacrifié, et il n’y avait pas un état du premier ordre opprimé par tous les autres, abusant à leur tour de la victoire envers lui comme il en avait abusé envers eux. L’arrangement des territoires aurait été conçu avec prévoyance, réglé d’après les frontières naturelles, et fondé sur le besoin réciproque d’indépendance.

Napoléon accepta les bases de Francfort, mais pas assez nettement et pas assez vite. Il aurait dû prendre son parti et consommer le sacrifice en vingt-quatre heures. La fortune était depuis deux ans contre lui, et dès-lors le temps aussi. Mais, si l’empereur perdit quelques momens avant de renoncer d’une manière générale aux territoires qu’il avait acquis, et d’abandonner les princes qu’il avait créés, de leur côté les souverains se repentirent de leur modération. Ils retardèrent l’ouverture des négociations, franchirent le Rhin, pénétrèrent sur notre territoire, et lorsqu’ils envoyèrent leurs plénipotentiaires à Chatillon, au lieu de la France indépendante, appuyée à ses barrières de montagnes, retranchée derrière ses grandes lignes d’eau qu’ils avaient voulue à Francfort, ils voulurent une France réduite à ses anciennes dimensions, ouverte aux entreprises des autres états sur une frontière de cent cinquante lieues, et perdant même la puissance relative qu’elle avait en 1792, car depuis lors tous les états principaux s’étaient agrandis. Ce fut sur ces nouvelles bases que les souverains alliés, excités par leurs succès à d’immodérées représailles, proposèrent de traiter à Chatillon-sur-Seine.

Ici il faut admirer l’empereur. En recevant ce nouvel ultimatum, il fut saisi d’une noble et patriotique colère. Il écrivit de ses bivouacs,