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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

Ni les douleurs de l’exil, ni l’ardeur des convictions, ni la force des attachemens, ni la violence des haines, ne justifient de méconnaître ce premier des devoirs. Séparer son pays du gouvernement qui le régit, dire qu’on attaque l’un pour délivrer l’autre, n’excusent pas davantage. Ces distinctions subtiles conduiraient à la ruine des états. Un pays qui n’a pas le droit de choisir son gouvernement n’a plus d’indépendance. D’ailleurs, est-on toujours sûr que la guerre dirigée contre le gouvernement d’une nation ne sera pas fatale à son territoire, et qu’après avoir attenté à son choix, on n’attentera pas à sa grandeur ? Ces plaies qu’on fait à sa patrie sont profondes, et nul ne sait d’avance si elles ne seront pas mortelles.

La guerre recommença entre Napoléon et tout le monde. Le grand homme qui avait tant de génie dans le succès, et dont la contradiction faisait chanceler la volonté, ne retrouvant plus la France aussi obéissante qu’il l’avait laissée, ayant en face de lui toute l’Europe, derrière lui le parti royaliste qui s’était formé depuis 1814, et qui, pas assez fort pour défendre son propre gouvernement, l’était assez pour en inquiéter un autre ; à côté de lui le parti libéral, qui discutait ses droits dans un moment où il n’aurait dû songer qu’à l’indépendance du pays, et à faire un dictateur au lieu d’une constitution ; le grand homme lutta avec découragement et fut vaincu. La France perdit la bataille de Waterloo, et l’Europe rétablit une seconde fois les Bourbons sur leur trône, autour duquel elle se proposa de faire camper ses armées pour lui servir d’appui et de garde.

M. de Talleyrand s’attacha alors à réparer ce grand désastre. Il croyait que la victoire étrangère se bornerait à la chute d’un gouvernement et au retour d’un autre. Il voulait qu’une liberté plus grande la dédommageât de ce nouveau revers. Déjà de Vienne il avait écrit à Louis XVIII toutes les fautes qu’on reprochait à son gouvernement en 1814 : l’abandon de la cocarde tricolore, qui n’aurait jamais dû être quittée ; les restrictions apportées aux garanties établies par la charte ; l’éloignement dans lequel le parti constitutionnel avait été tenu des emplois publics, presque uniquement accordés à d’anciens royalistes ; l’ignorance et la maladresse avec laquelle on avait donné la France à régir à des hommes nourris dans l’émigration, étrangers aux idées et aux sentimens de la nation nouvelle, qui avaient alarmé ses intérêts et soulevé ses haines, et l’absence d’un ministère homogène, formant un conseil responsable, dirigé par un président, et capable de gouverner.

À son retour auprès de Louis XVIII, il réalisa ce qu’il avait con-