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dehors ; il le quitta parce qu’au lieu d’une extension des libertés publiques, il y avait un débordement d’excès révolutionnaires, parce qu’au lieu de l’intégrité et de la délivrance du territoire, on opérait son démembrement et l’on y établissait une garnison européenne. Il le quitta pour ne pas assister aux violences du parti dominant, et ne pas signer l’humiliation de la France. Il le quitta le 24 septembre, deux mois avant le désastreux traité qui coûta deux milliards à la France, et lui enleva plus que les annexes dont son territoire avait été agrandi en 1814.

Dès ce jour M. de Talleyrand ne fut plus pour rien dans les conseils et dans les affaires de la restauration. Il se sépara d’elle politiquement, dix-huit mois après l’avoir fondée, et quatre mois après l’avoir rétablie. Il resta quatorze ans avec une dignité de cour, mais sans aucun pouvoir et sans aucune influence. Il fit partie de l’opposition libérale. Il mit à son service, dans les salons, tout son esprit, et, dans la chambre des pairs, toute l’autorité qui s’attachait à son nom et à son expérience. Il ne ménagea point les entreprises du parti dont la domination, un moment renversée par l’ordonnance du 5 septembre, s’était rétablie en 1821, et qui conduisit la restauration à sa perte. Il défendit la liberté de la presse contre la censure, et, la regardant comme l’instrument principal du gouvernement représentatif, il dit que, désirée par tous les grands esprits du siècle précédent, établie par la constituante, promise par la charte, elle avait le caractère d’une nécessité, et que la retirer, c’était compromettre la bonne foi royale. Il ajoutait à ce propos la phrase qui est restée dans tous les souvenirs : « De nos jours il n’est pas facile de tromper long-temps. Il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Voltaire, plus d’esprit que Bonaparte, plus d’esprit que chacun des directeurs, que chacun des ministres passés, présens et à venir : c’est tout le monde. » Il se prononça pour le maintien du jury dans les délits de la presse, et, s’autorisant de ce que son opinion avait été celle de Malesherbes, il dit : « Je vote, avec M. de Malesherbes, le rejet de la loi. » Mais il fit entendre des paroles plus solennelles et plus sévères lorsque, rappelant son âge, son expérience, les services qu’il avait rendus à la maison de Bourbon, il condamna l’invasion contre-révolutionnaire de l’Espagne en 1823, déclara que le renouvellement d’alliance accompli par ses soins, entre cette maison et la France, était compromis par les passions folles et téméraires d’un parti, et qu’il sembla annoncer au monde la fin prochaine de la restauration.

Ce moment arriva pour achever l’œuvre de la grande révolution