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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

que le cours naturel des choses en offre de meilleures que l’esprit n’en saurait trouver, ni la volonté faire naître. Il avait dans ces momens l’activité et l’ascendant des hommes supérieurs, et il retombait ensuite dans la nonchalance des hommes ordinaires.

Pendant le cours de si nombreuses révolutions et de prospérités si diverses, il ne fit de mal à personne. Il ne sévit contre ses adversaires que par de bons mots. Il éprouva et il inspira de longues amitiés, et tous ceux qui l’entouraient ou qui l’approchaient étaient attirés par sa grace, attachés par sa bonté. Il jugeait tout avec un sens exquis ; il aimait à raconter, et ses récits avaient autant d’agrémens que ses mots ont eu de célébrité. Ce visage que les évènemens n’avaient pas ému, ce regard que la fortune n’avait pas troublé, s’animaient lorsqu’il parlait des beaux jours du XVIIIe siècle et des grands travaux de l’assemblée constituante. M. de Talleyrand, comme la grande génération à laquelle il appartenait, aimait sincèrement sa patrie et a toujours conservé de l’attachement pour les idées de sa jeunesse et les principes de 1789, qui ont survécu chez lui à toutes les vicissitudes des évènemens et de la fortune. Il s’entretenait sans aucune gêne des gouvernemens qu’il avait servis et quittés. Il disait que ce n’étaient pas les gouvernemens qu’il servait, mais le pays, sous la forme politique qui, dans le moment, lui semblait convenir le mieux, et qu’il n’avait jamais voulu sacrifier l’intérêt de la France à l’intérêt d’un pouvoir.

Telle était l’explication qu’il donnait à ses changemens. Toutefois, quels que soient les services qu’on puisse rendre à son pays en conformant toujours sa conduite aux circonstances, il vaut mieux n’avoir qu’une seule cause dans une longue révolution et un seul rôle noblement rempli dans l’histoire.


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