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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

vie, Mahmoud avait passé sa première jeunesse dans les mains des eunuques et des femmes, n’ayant d’autres distractions que l’étude des littératures turque et persane qu’il possède, dit-on, d’une manière supérieure. Plus heureux que les autres princes de sa race, il lui était réservé de recevoir, quelque temps avant son élévation, des leçons d’un souverain qui avait passé par toutes les épreuves de la vie et du trône. Devenu le compagnon de captivité de son jeune cousin, Sélim l’avait pris en affection, lui avait révélé la cause de ses malheurs, l’avait, sans doute, initié à sa haine contre les janissaires ainsi qu’à ses projets de réforme, et avait déposé dans l’esprit de son élève des germes que le temps devait mûrir et développer.

La nature avait donné à Mahmoud une ame plus fortement trempée que celle de Sélim, et l’on put facilement juger, au début de son règne, que le nouveau sultan avait une volonté ardente et impétueuse que n’arrêteraient ni les difficultés, ni les périls, ni même au besoin la crainte de verser le sang. Lorsqu’il fut mis sur le trône par le Baraïctar, l’empire se trouvait dans une des crises les plus affreuses qu’il ait traversées depuis sa fondation. L’autorité du souverain était comme anéantie. La plupart des pachas, abusant de la faiblesse de Sélim et des embarras où l’avaient jeté ses guerres avec la France et la Russie, étaient parvenus, les uns ouvertement, les autres avec plus de ruse et de mystère, à se rendre à peu près indépendans de la Porte. Dans une grande partie de l’Asie mineure, des familles riches et puissantes, fortes d’un patronage immense, s’étaient saisies du gouvernement des provinces. Le pouvoir féodal, dans tout son lustre et ses abus, s’était comme réfugié dans ces contrées. Les Tschapa-Oglou et les Carasman-Oglou étaient de hauts et puissans seigneurs exerçant dans leurs vastes domaines un pouvoir à peu près sans limites, levant des troupes, rendant la justice, et ne remplissant leurs devoirs de sujets que par les tributs annuels qu’ils envoyaient à la Porte. Sur les frontières de la Perse, les pachas d’Orfa, de Diarbekir, de Merdin et de Mossoul, en lutte perpétuelle avec les Kurdes et les Turcomans, obligés, pour leur résister, de tenir constamment des troupes sur pied, protégés d’ailleurs par la distance, étaient, dans leurs gouvernemens, de véritables souverains de fait. Il en était de même des pachas de la Caramanie, du Beylan, ainsi que des pachas d’Acre, de Seyde et de Damas en Syrie. Ceux de Bagdad et de Bassora possédaient des richesses immenses qui leur donnaient les moyens d’entretenir de véritables armées. En Égypte, Méhémet-Ali commençait à jeter les bases de sa puissance. L’autorité de la Porte n’était