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pas mieux respectée en Europe. Le tyran de l’Épire, le fameux Ali, pacha de Janina, commandait en maître, par lui-même ou par ses enfans, à tous les pays situés sur les mers Adriatique et Ionienne. La Servie, gouvernée par le prince Milosh, et soumise à l’influence de la Russie, n’appartenait plus à l’empire que par le faible tribut qu’elle lui payait. L’état d’insurrection semblait la condition normale des turbulens Bosniaques. La Moldavie, la Valachie et la Bulgarie étaient la proie des armées qui venaient s’y combattre, et la Turquie, toujours battue dans la lutte inégale qu’elle soutenait contre la Russie, semblait à la merci d’une armée assez audacieuse pour franchir les Balkans. À Constantinople, les janissaires, par leurs perpétuels soulèvemens, paralysaient l’action du pouvoir. Aussi incapables de défendre l’empire que de se soumettre à la discipline, ils avaient comme resserré dans les limites du sérail l’autorité des sultans. Toutes les ressources étaient épuisées, le trésor vide, les armées décimées, les populations des provinces danubiennes foulées et ruinées ; enfin, pour mettre le comble à tant de misères, la corruption rongeait le cœur de l’état. L’or et les intrigues des Russes et des Anglais avaient acheté presque toutes les voix du divan et la plupart des chefs de l’armée. L’abattement et la peur faisaient le reste. L’empire présentait donc sur presque tous les points, à la circonférence comme au centre, les symptômes d’une sorte de décomposition ; il menaçait ruine de toutes parts. Dès que Mahmoud put faire acte d’autorité, il s’appliqua tout entier à remédier aux maux de l’état. Recouvrer sur les Russes les provinces qu’ils avaient conquises, et recomposer le faisceau brisé de l’unité souveraine, telle fut la double tâche à laquelle il dévoua les premières années de son règne. Il déploya, dans la poursuite de ces grands buts, une puissance de volonté extraordinaire ; mais il ne put les atteindre tous les deux également : il échoua dans ses efforts contre les Russes. En vain eut-il recours à tous les moyens que lui donnait son pouvoir politique et sacerdotal, pour exciter le fanatisme de son peuple, et le pousser à la défense des frontières et de l’islamisme. Ses hordes asiatiques répondirent à son appel, elles accoururent sur le Bosphore ; mais leur fougue indisciplinée alla se briser contre le courage froid et régulier des Russes. Des revers accablans et continuels détruisirent ses armées, démoralisèrent ses peuples, épuisèrent ses dernières ressources ; et lorsqu’en 1812, l’empereur Napoléon lui proposa de marcher à la tête de cent mille hommes sur la Bessarabie, tandis que lui-même s’avançait sur le Niémen avec la grande armée,