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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

le malheureux sultan pouvait à peine disposer de quinze mille hommes. Mahmoud cependant, comme nous l’avons dit ailleurs[1], ambitionnait personnellement notre alliance ; mais tout ce qui l’entourait, ministres, membres du divan, chefs des janissaires et de l’armée, demandait la paix, fût-ce une paix honteuse, parce que tous étaient vendus ou découragés. Il céda et signa la paix de Bucharest (mai 1812), qui lui enleva une partie de la Moldavie, quand il lui eût été si facile de conserver l’intégrité de son territoire. Ce fut là sa première faute. La corruption ou la lâcheté du divan ne le justifient point. Une volonté forte et intelligente sait triompher de pareils obstacles. Son caractère, que l’âge et les malheurs n’avaient point encore altéré, avait alors une énergie tellement indomptable, qu’on ne peut expliquer son consentement au traité de Bucharest que par l’ignorance de la véritable situation de son empire à l’égard de l’Europe. Trop souvent nous aurons l’occasion de remarquer que, chez lui, les lumières de l’intelligence ne sont point au niveau de la volonté.

Mahmoud fut plus heureux dans ses efforts pour ressaisir sur tous les points de l’empire une autorité que les faibles mains de Sélim s’étaient laissé ravir. Il s’appliqua successivement à soumettre les pachas, les grands feudataires d’Asie, les janissaires, les chefs de la loi et de la religion : tentative hardie, mais qui s’explique toutefois par la mort de son frère Mustapha, que lui-même avait ordonnée au milieu d’une révolte de janissaires, et qui le laissait l’unique rejeton de la race d’Othman. Il n’attaqua pas tous ses ennemis avec les mêmes armes, ni dans le même temps. Avec les uns, il employa la ruse, les caresses d’abord, puis le fatal cordon ; avec d’autres, la force ouverte et toujours la confiscation, l’exil ou la mort. Plus d’une fois enfin, il arma les uns contre les autres des pachas rivaux, et, les détruisant l’un par l’autre, parvint à recouvrer des provinces qui étaient sur le point de lui échapper. En général, tous les pachas qui eurent le malheur d’être assez puissans pour lui donner de l’ombrage, mais qui ne le furent point assez pour défendre, contre son pouvoir, leurs richesses et leur tête, trouvèrent en lui un maître inexorable. Presque tous ils succombèrent et furent remplacés par des hommes dévoués. Là où sa main ne s’appesantit point, c’est qu’elle ne put y atteindre. Sans traiter aussi cruellement les grands

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1838 : Histoire politique des cours d’Europe, etc.