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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

la Grèce, l’avaient, en quelque sorte, amené à maturité ; il ne fallait plus qu’une occasion pour le faire éclater. Ce fut Ali-Pacha qui donna l’impulsion décisive. C’est lui qui, en excitant les Grecs et en leur offrant dans sa révolte un point d’appui redoutable, leur a donné le signal de l’indépendance. L’héroïsme de ce peuple qui comptait à peine sept cent mille ames, luttant, pendant six années, contre toutes les forces de l’empire ottoman, demeurera éternellement dans la mémoire des hommes, comme un sublime exemple de ce que peut sur une population enthousiaste et courageuse l’amour de l’indépendance nationale excitée et nourrie par la magie des souvenirs antiques.

Pour le sultan Mahmoud, l’insurrection grecque a été une affreuse calamité et le commencement de toutes les misères qui depuis ont affligé son règne. Elle l’a violemment arrêté dans ses efforts pour recomposer l’unité de l’empire ; elle a dévoré ses plus belles armées, désorganisé ses flottes, épuisé ses finances, usé, sans profit ni gloire, le fanatisme religieux de son peuple, qu’il eût été si précieux de tenir en réserve pour une guerre extérieure ; elle l’a forcé, pour vaincre, à emprunter la flotte et les armées de Méhémet-Ali, en sorte qu’en même temps qu’il donnait la mesure de sa propre faiblesse, il révélait à son vassal le secret de sa force, et lui montrait qu’il pourrait désormais tout ce que son ambition voudrait. Elle a été pour tous les rayas sujets de l’empire un funeste exemple et a commencé le mouvement d’affranchissement qui doit tôt ou tard arracher les races conquises au joug de l’islamisme ; elle a soulevé dans toute l’Europe une admiration et des sympathies tellement profondes en faveur des Grecs, que, sur cette question, toutes les intelligences se sont trouvées comme obscurcies, toutes les traditions bouleversées et confondues, et que l’intérêt politique est allé en quelque sorte se perdre dans l’intérêt d’humanité.

Cette lutte fatale durait encore lorsque le sultan résolut d’accomplir un projet qui n’avait cessé, depuis son avénement au trône, de préoccuper sa pensée, la destruction des janissaires. Ce grand dessein qui, exécuté dans des circonstances plus heureuses, aurait pu faire le salut de la Turquie, combiné, comme il le fut, avec toutes les complications nées de la question grecque, devint une cause de ruine pour l’empire.

Parmi les faits européens qui, dans l’histoire du dernier siècle, dominent tous les autres, l’un des plus graves assurément est la décadence progressive de la puissance ottomane. Chacune de ses guerres,