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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

Telle était la situation, lorsque M. de Villèle et son parti rétrograde succombèrent dans la grande lutte électorale de novembre 1827, quatre mois après la conclusion du traité d’intervention. L’arrivée aux affaires de M. de Martignac changeait de fond en comble la politique intérieure de la France. En serait-il de même de sa politique extérieure ? Grave question dont bien peu d’esprits furent alors préoccupés. Évidemment, le parti national qui venait de renverser M. de Villèle n’avait nullement songé à détruire le système d’où étaient sortis la triple intervention dans les affaires du Levant, le traité du 6 juillet, et la bataille de Navarin. Ses tendances le portaient au contraire plutôt vers l’Angleterre, pays de liberté, que vers les cours absolues du Nord. Le roi, maîtrisé dans sa politique intérieure, conservait ainsi, dans ses relations avec l’Europe, la liberté entière de ses mouvemens, pouvant, selon sa volonté, incliner vers l’Angleterre ou vers la Russie. Il exprima ses préférences par le choix qu’il fit de M. de La Ferronnays comme ministre des affaires étrangères. Admettre dans l’administration nouvelle l’homme qui était l’organe le plus habile du système russe et l’y admettre au milieu de la crise d’Orient, c’était déserter l’alliance anglaise et embrasser la cause du Nord.

Tout prospérait donc d’une manière merveilleuse au gré de la Russie, et la fortune semblait réellement complice de son ambition. Par le traité du 6 juillet, elle avait isolé la Porte de tous ses appuis naturels ; elle avait traîné l’Angleterre et la France à Navarin ; elle les avait mises aux prises avec les Turcs, et s’était donné l’étrange spectacle d’un amiral anglais rivalisant d’ardeur avec un amiral russe pour abîmer la marine ottomane ; par cette bataille, elle avait jeté la Porte dans des résolutions désespérées, amené une rupture diplomatique entre elle et les trois puissances médiatrices. En Angleterre, la mort avait frappé Canning ; en France, une crise intérieure avait écarté des affaires M. de Villèle. Ainsi tout le système dont le traité du 6 juillet était l’expression était détruit : hommes et choses, tout avait disparu, et c’était la Russie qui recueillait le fruit de ces changemens. Secondée par les fautes du sultan, elle avait renversé tous les obstacles, brisé toutes les entraves, isolé sa proie : il ne lui restait plus qu’à fondre sur elle, et elle était trop habile pour la laisser échapper.

Elle s’était, comme nous l’avons dit, réservé le droit de régler ses différends personnels avec la Porte, sans permettre à aucune puissance de l’Europe de s’y ingérer. Ces différends étaient relatifs, d’une part, aux priviléges de la Servie, de la Moldavie et de la