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Valachie, dont elle s’était porté garante par le traité de Bucharest, qu’elle accusait les Turcs de violer ouvertement, et dont elle exigeait le maintien ; de l’autre, à la restitution réclamée par la Porte de diverses forteresses situées au pied du Caucase, dont la Russie s’était emparée dans la dernière guerre, et qu’elle s’était formellement engagée à rendre par le même traité de Bucharest. Depuis long-temps ces différends étaient réglés. La convention d’Ackermann (7 octobre 1826) les avait résolus tous, et les avait résolus au profit de la Russie, qui n’avait pas manqué d’abuser des embarras actuels de la Turquie pour lui faire la loi sur tous les points. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’avait plus de motifs pour légitimer aux yeux de l’Europe une attaque directe contre l’empire ottoman, lorsqu’au mois de décembre 1827, le sultan Mahmoud, comme s’il eût voulu braver le sort et pris un cruel plaisir à creuser l’abîme ouvert sous ses pas, adressa aux pachas de son empire une lettre par laquelle il faisait appel au patriotisme des Turcs, leur montrait la Russie prête à leur déclarer la guerre, et les engageait tous, comme souverain et chef de la religion, à s’armer pour la défense de l’empire et de l’islamisme. Ce fètwa n’était après tout que la révélation des véritables projets de la Russie, mais révélation intempestive et impolitique au plus haut degré. Si l’empereur Nicolas avait été animé de dispositions réellement pacifiques, il eût jugé cet acte comme il le méritait, il eût pris en pitié la colère et l’effroi du sultan, et il l’eût calmé en lui prodiguant des assurances de paix ; mais il voulait la guerre, et il ne cherchait qu’un prétexte pour la déclarer. Il se saisit du fetwa, le produisit au monde comme un insolent défi fait à sa puissance, et, au mois d’avril 1828, il précipita ses armées sur la Bulgarie.

Ainsi ce grand conflit tant redouté à Vienne et à Londres, la Russie par son habileté, la Porte par ses fautes, les évènemens par leur cours forcé, la fortune, enfin, par le jeu de ses caprices, l’avaient fait éclater. La guerre était allumée entre la Russie et l’empire ottoman.

Quelle attitude allaient prendre dans cette crise solennelle l’Angleterre, l’Autriche et la France ? Les dispositions des deux premières ne pouvaient être douteuses : intérêts de commerce, de sûreté territoriale, de prépondérance maritime et coloniale, tout leur rendait précieuse, nécessaire, l’existence de la Turquie, et, dans une lutte où cette existence pouvait être mise en question, tout les poussait à la couvrir de leur protection. Mais, pour qu’elles pussent s’interposer entre les deux empires avec l’autorité maîtrisante d’une médiation