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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

recours à la ruse ; il feignit de se réconcilier avec eux, les attira au Caire, et les fit tous massacrer dans la citadelle. Au point de vue de la morale, cet acte est horrible ; politiquement parlant, on peut dire, pour atténuer le crime du vice-roi, qu’il y était comme poussé par une affreuse nécessité aussi bien que par l’intérêt de sa conservation, car les Mamelouks n’étaient pas des ennemis plus généreux que lui : désespérant de le vaincre par les armes, ils méditaient aussi de le détruire par un assassinat.

Le massacre des Mamelouks ferme la première période de la vie de Méhémet-Ali. Cet acte consommé, l’Égypte lui appartint tout entière, et de ce jour son règne véritable commence.

Une fois parvenu au gouvernement de l’Égypte, un ambitieux vulgaire se serait endormi dans le calme et la sécurité. Les vues d’Ali s’étendaient bien au-delà du présent. Il connaissait les jalousies ombrageuses de la Porte, le sort fatal que Mahmoud réservait aux pachas trop puissans, et il n’était pas homme à lui abandonner un pouvoir qui lui avait tant coûté, bien moins encore à lui livrer sa tête, si les esclaves du sérail venaient la lui demander. De là, chez lui, la résolution de placer son autorité sous la garantie d’une force assez imposante pour se faire respecter par la Porte ; mais les premiers élémens de cette force qu’il ambitionnait semblaient lui manquer. L’Égypte avait été si long-temps dévastée par toutes les armées qui étaient venues s’y combattre, que ses ressources étaient comme anéanties. La population, n’osant plus compter sur ses récoltes, ne travaillait plus que pour fournir à ses stricts besoins. Un climat brûlant favorisait sa paresse et son incurie, et le pays le plus fertile de la terre ne donnait que de faibles produits. Les impôts ordinaires pouvaient à peine suffire au paiement du tribut annuel, et quant à ceux indispensables pour entretenir une armée permanente, ils manquaient tout-à-fait. Cependant Méhémet-Ali était impatient d’être fort. Le moyen dont il se servit pour se créer des ressources inconnues aux gouvernemens qui l’avaient précédé est une des conceptions les plus hardies et les plus violentes que nous ait offertes l’histoire. Il s’empara de toutes les terres de l’Égypte : succession des Mamelouks, mosquées, particuliers, il dépouilla tous les propriétaires sans distinction, et se mit à leur place. Maître absolu du sol, il en modifia la culture : elle ne produisait guère autrefois que des céréales ; dans l’ordre des productions, il donna le premier rang au coton, et il en couvrit toute l’Égypte. Au monopole des terres il joignit ceux de l’industrie et du commerce ; de vastes établissemens industriels furent