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traînent vers l’Égypte. Il est impossible de calculer les richesses et la prospérité que lui procurerait ce pays, si, à défaut de sa possession matérielle, il lui appartenait par le triple lien d’une intimité commerciale, politique et maritime. La plupart des productions des tropiques, le coton, l’indigo, la canne à sucre, le café, l’encens, croissent sur les bords du Nil à côté des plantes de l’Europe. Tous les élémens d’un grand commerce, basé sur une véritable réciprocité, existent entre les deux pays. Ils peuvent devenir l’un pour l’autre un vaste et riche marché. L’Égypte nous vendrait ses produits naturels et recevrait en échange les ouvrages infinis dans leurs variétés de notre industrie. Comme point d’appui politique et maritime, elle pourrait nous rendre d’immenses services, soit que nous voulussions étendre nos possessions d’Afrique, soit comme moyen d’influence en Orient et dans la Méditerranée. Grandissant en civilisation sous notre protectorat, subissant l’influence de nos arts et de nos conseils, elle nous vaudrait tous les avantages de la plus belle colonie ; nous en aurions tous les profits sans en avoir le fardeau. Par l’Égypte, nous agirions sur l’Afrique entière. Ce serait tout un monde ouvert à notre civilisation. C’est cette grande pensée qui conduisit, il y a quarante ans, aux pieds des Pyramides, le jeune vainqueur de Rivoli. Le germe civilisateur porté par Napoléon sur la terre des Pharaons n’a point été perdu. Un homme d’un génie inculte, mais puissant, s’en est emparé et l’a fécondé. Méhémet-Ali a recomposé, sans le vouloir peut-être, le faisceau d’un empire arabe. Voilà ce qu’il est de notre intérêt de protéger, de défendre. Autant que l’Autriche et plus que l’Angleterre, nous souffrons de son système fiscal et déprédateur. Nous devons faire des vœux et des efforts pour qu’il renonce à des rigueurs qui écrasent et déciment son peuple et nuisent à notre commerce ; mais nous ne devons point permettre que la puissance qu’il a fondée soit sacrifiée aux vengeances de la Porte. Nous sommes en Europe ses alliés naturels.

Tandis que nos intérêts nous attirent vers Méhémet-Ali, ceux de l’Angleterre l’en éloignent. C’est la Turquie dont l’existence incessamment compromise excite toutes ses angoisses, dont la faiblesse fait son désespoir, et dont elle voudrait à tout prix retremper la puissance et assurer l’avenir. Sous ce rapport, elle s’alarme et s’irrite de la rivalité qui pousse l’un contre l’autre Mahmoud et Méhémet-Ali. Elle doit chercher à réparer ses fautes, à simplifier la position de la Porte, à ramener son attention et ses forces du Taurus où elles se concentrent, sur le Danube qu’elle semble perdre de vue, et où sont ses vrais