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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

dangers. Une réconciliation sincère et durable entre le sultan et le vice-roi, sans être impossible, est tout au moins fort difficile en ce moment : la haine, l’orgueil ulcéré, l’ambition de recouvrer la Syrie, dominent dans l’esprit de Mahmoud toutes autres considérations, et il ne se livrera qu’au bras qui voudra le venger. La Russie qui flatte ses passions, qui va sans doute jusqu’à lui promettre son appui contre des revers possibles, la Russie touche, impressionne, subjugue. Pour lutter avec avantage contre de telles influences, l’Angleterre se voit forcée d’employer les mêmes séductions. Voilà ce qui explique comment, dans son impatience d’enlever la Porte à la Russie, elle ne se montre que trop disposée à lui sacrifier le vice-roi. En embrassant d’ailleurs la cause de la Porte contre l’Égypte, elle n’obéit pas seulement aux nécessités du moment : elle ne fait que suivre la pente où l’entraînent ses intérêts à venir. Elle doit désirer ardemment de renouer les communications qui liaient autrefois l’Inde à l’Europe par la mer Rouge et la vallée du Nil, et que cette révolution dans les voies du commerce de l’Asie s’accomplisse sous son influence et à son profit. L’Égypte deviendrait alors en Orient le vaste entrepôt de ses marchandises de toute nature et de toute origine. Elle régnerait sans concurrence sur tous les marchés de l’Afrique, de l’Arabie, de la Perse, de la Syrie et de la Grèce. Mais pour que ce grand changement s’opérât, il faudrait que son influence dominât exclusivement au Caire, que l’Égypte lui livrât ses destinées, que l’édifice élevé par Méhémet-Ali fût renversé du faîte jusqu’à la base. Dans les mains du vice-roi, le sol égyptien a changé de nature, et cette terre fournit aujourd’hui en quantité considérable la plupart des denrées de l’Inde. C’est par là surtout que l’œuvre de Méhémet-Ali mérite notre protection, de même que celle de l’Autriche dont les provinces méridionales font un commerce considérable avec l’Égypte. Mais, pour l’Angleterre, cette transformation de culture n’est point un titre à ses préférences. Maîtresse de territoires immenses dans les deux Indes, elle possède en abondance les produits coloniaux qui sont les premiers élémens de son industrie. L’Égypte ne saurait être pour elle, comme terre de productions coloniales, d’une importance capitale. Les conditions d’un bon système d’échange entre les deux pays manquent absolument. Si l’ouvrage de Méhémet-Ali s’écroulait, et qu’à la faveur du désordre qui suivrait ce bouleversement, l’Angleterre parvînt à prendre pied sur le Nil, sinon par ses armées, du moins par son influence politique et ses comptoirs, toutes les améliorations récentes disparaîtraient ; la population retomberait dans