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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

de tendre plutôt à l’amélioration matérielle des peuples, à la destruction d’abus monstrueux, qu’à une prompte et complète initiation aux lumières de l’Europe. Renfermée dans ce cercle d’intérêts, la réforme a encore un vaste champ à parcourir.

Une des causes les plus actives de la décadence de l’empire, c’est son administration, plaie honteuse et dévorante, obstacle absolu à toute amélioration. Dans cette sphère d’intrigues et de corruption, tout s’achète à prix d’or, le crédit, les promesses et les places. La vénalité des charges publiques, admise et pratiquée à tous les degrés de la hiérarchie gouvernementale, est le principe démoralisateur de tout le système. Esclaves la plupart de naissance, élevés dans le sein du sérail, n’ayant souvent exercé que les emplois les plus vils, les hauts dignitaires de l’empire ne doivent, en général, leur élévation qu’à de honteuses faveurs ou au caprice du maître. De là la ruine de l’empire, ses misères et sa dépopulation croissante. Les janissaires étaient un frein à la tyrannie des pachas et au despotisme capricieux des sultans. Organes des douleurs du peuple, et organes toujours redoutés, parce qu’ils étaient une portion du peuple armé, ils lui servaient de garantie, et ils formaient dans l’état un véritable pouvoir de contrepoids. Les peuples trouvaient aussi protection dans ces puissantes familles d’Asie, qui avaient intérêt à les ménager pour s’en faire un point d’appui contre la Porte. Mahmoud, en abattant le janissarisme, les grands feudataires de l’Asie et les pachas trop puissans, renversait, il est vrai, des obstacles peut-être insurmontables à une réforme militaire et administrative ; mais il laissait ses peuples sans défense contre la tyrannie des gouverneurs : il causait dans l’ordre politique comme dans l’ordre militaire un vide effrayant et qu’il fallait combler. Si la nature lui avait donné un génie organisateur, comme elle lui avait donné la force du caractère, il eût assis toutes ses réformes sur celle de son administration. Après le grand coup porté contre les janissaires, il pouvait tout. Sa force d’opinion, ainsi que son énergie, étaient encore intactes. De grands désastres et de honteux traités n’avaient point altéré le respect des peuples pour sa personne, ni porté dans son ame le découragement. Il aurait dû profiter du moment pour abolir la vénalité des charges, séparer d’une main forte le pouvoir politique du pouvoir judiciaire, fonder un bon système de finances, empêcher l’altération des monnaies, un des abus les plus funestes que les sultans aient fait de leur autorité. Au lieu d’accomplir cette révolution administrative, il a épuisé son énergie à changer des coutumes qui étaient chères à son peuple. Il a décrété une foule de lois qui prouvent sans doute un esprit élevé