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et de bonnes intentions, mais qui la plupart ne sont point exécutées, parce qu’elles sont en opposition avec le personnel et tout le système de l’administration. Enfin, en autorisant et en pratiquant lui-même l’usage du vin et des liqueurs fortes, il a violé ouvertement le Coran et froissé la rigidité des mœurs musulmanes. La moitié de l’énergie qu’il lui a fallu déployer pour opérer ces changemens lui aurait suffi pour réorganiser son gouvernement.

Cependant l’année 1838 a été marquée par une grave décision. Un firman a déclaré abolie la vénalité des charges publiques et décidé que tous les fonctionnaires de l’état seraient désormais payés par le gouvernement. Décrétée dix ans plus tôt, cette grande mesure aurait pu être appliquée, et elle eût suffi pour changer toute la face des choses en Turquie ; mais la situation présente de l’empire, l’ascendant funeste que la Russie a pris sur le divan en corrompant une partie de ses membres, laissent peu d’espoir qu’une réforme si importante reçoive son exécution. Sur ce point, comme sur tous les autres, l’avenir de la Turquie dépend moins d’elle-même que du degré de protection que voudront bien lui accorder les grandes cours de l’Occident.

Une circonstance bien malheureuse dans la vie de Mahmoud a été son inaptitude militaire. La plupart des grands hommes qui ont fondé ou régénéré des empires, n’y sont parvenus que par la guerre. Alexandre, César, et, dans les temps modernes, Charlemagne, Mahomet, Pierre-le-Grand, Frédéric et Napoléon, tous se sont servis du glaive pour réaliser les conceptions de leur génie ; tous ont été à la fois grands capitaines et grands politiques. Aussi a-t-on pu dire qu’en de certaines mains la guerre était le plus puissant levier de la civilisation. En Orient surtout, où la vie intellectuelle, telle que nous la comprenons, n’existe point, les qualités militaires sont indispensables à tout homme qui veut prendre sur ses semblables un ascendant dominateur. Si, comme son heureux rival, le pacha d’Égypte, Mahmoud avait été le fils de ses œuvres ; si, au lieu de languir pendant ses premières années dans l’oisiveté du sérail, il eût été endurci à la vie des camps, il eût échappé à la plupart des infortunes de son règne ; il eût apporté dans la réforme militaire l’expérience d’un praticien et le zèle d’un fondateur. Il aurait eu la conscience de son œuvre, il en aurait mesuré toutes les difficultés. La connaissance minutieuse de ses ressources eût souvent tempéré son audace, ralenti sa fougue ; souvent aussi elle eût soutenu son énergie, encouragé sa résistance, et dans ses projets il aurait toujours su proportionner les moyens au but. Il n’eût point, en 1812, signé la honteuse paix de Bucharest. Il