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DE L’IRLANDE.

passion de leur vie ; ils l’embrassèrent avec ardeur, presque comme une vengeance, et suppléèrent par la ruse, souvent par la rapacité, à la protection de la loi qui leur était si cruellement refusée. Ces dispositions d’esprit ne sont pas contestées par les écrivains irlandais. Pourquoi le seraient-elles en effet, et lequel doit rougir, de l’esclave qui se défend par l’astuce, ou de l’oppresseur qui l’a rendue nécessaire et comme légitime ?

Moins de soixante années s’étaient écoulées depuis les persécutions de la reine Anne, et ces causes combinées avaient déjà préparé une situation dont les conséquences nouvelles se développent aujourd’hui dans toute leur force. En face d’une aristocratie hostile, par sa foi et par le titre même de sa possession, au peuple qu’elle avait exhérédé, et qui lui est restée aussi étrangère en Irlande que dans la Grande-Bretagne l’aristocratie anglaise s’est identifiée avec lui, on vit s’élever progressivement une bourgeoisie commerciale, riche et nombreuse, en sympathie avec les masses dont elle partage les croyances et les profonds ressentimens, et auxquelles la supériorité de ses lumières et ses habitudes d’activité ne pouvaient manquer de l’appeler à fournir des chefs et des défenseurs. Donner à ce corps le sentiment de sa force, le lier étroitement aux populations urbaines et à celles des campagnes surtout, si tristement indisciplinées ; assurer enfin à la classe moyenne l’initiative et la direction de la lutte contre l’église et les propriétaires protestans : tel était le secret de la délivrance, secret qui n’a été trouvé que de notre temps, après des tentatives sans nombre autant que sans résultat.

Mais d’honorables essais ont précédé le triomphe de la sainte cause du droit ; de patriotiques renommées se sont élevées dans ces épreuves laborieuses. Nous ne pouvons songer à en retracer l’histoire ; il est nécessaire cependant de montrer pourquoi ces tentatives restèrent vaines, afin de faire comprendre tout ce que l’Irlande doit de reconnaissance aux hommes qui, depuis le commencement du XIXe siècle, ont si habilement conduit l’œuvre de la délivrance, en n’empruntant à leurs devanciers que la pureté de leurs intentions et l’expérience si chèrement payée de leurs fautes.

Ce coup d’œil nous permettra d’embrasser la nationalité irlandaise sous ses principaux points de vue, et le passé fera pressentir l’avenir.

La première tentative pour grouper la population catholique et agir sur l’opinion par la publicité remonte au milieu du XVIIIe siècle. Elle fut faite par quelques hommes d’élite, dont les écrits, également empreints de patriotisme et de science, exercèrent une action