Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
REVUE DES DEUX MONDES.

du supplice, encouragée par l’espoir de la liberté. De là une double et effroyable dégradation, celle des misérables auxquels toute ignominie était infligée, et, plus grande encore, celle du puissant qui avait le droit d’infliger toutes les ignominies.

Sénèque, qui attaque ces désordres, les attaque parce qu’il est ou se fait puritain, et encore ne les met-il guère sur une autre ligne que les excès du luxe. Les oiseaux du Phase et les vases de myrrhe lui paraissent de tout aussi grands crimes. Et au fond, quelque imparfaite que soit cette censure, il y avait plus de rapports qu’on ne le pense entre les excès du luxe et la corruption des mœurs. Le principe des uns et des autres, c’était une satiété des choses ordinaires, une imagination ennuyée et corrompue, un dessèchement et un rapetissement de l’ame, qui, sans passion comme sans vertu, sans instinct vrai, était avide d’inventer et désespérait de jouir, parce qu’elle était vulgaire, ne trouvait rien que de vulgaire dans ce qu’aiment et admirent les hommes, et au défaut du bon, du vrai, du beau, du grand qu’elle ne sentait pas, se traînait vers l’impossible, vers l’inconnu, vers le monstrum, comme on disait : trait dominant de ce siècle, explication obligée de toute son histoire.

Mais au moins ceux-là seront-ils libres, que tant de serviles hommages et une telle licence ouverte à leurs caprices auront précipités dans ces dépravations extravagantes ? Au moins sera-t-il libre, le petit nombre de bienheureux autour duquel gravite cette multitude d’esclaves et de cliens : ce riche, cet élégant, ce délicat qui s’endort au son d’une douce et lointaine symphonie, se réveille au frais murmure d’une cascade factice ; qui, après avoir dédaigneusement tendu sa main à baiser à la foule matinale de ses cliens, s’avance en litière, et de là, comme d’un trône, domine les têtes serviles des cliens qui le suivent et de la plèbe qui passe à ses pieds ? Si Rome l’ennuie, sans sortir de sa maison immense, il trouve toutes les joies de Rome, le bain avec ses accessoires sans nombre et sa population de serviteurs, la palestre, les triclinium nombreux, la piscine, le vivier, le jardin. S’il veut respirer plus à l’aise encore, il a sa villa près de la mer de Naples, sa villa sur le haut d’une montagne, sa villa dans la mer même. Il n’est pas de coin de l’Italie où il n’ait à lui ces premières nécessités de la vie romaine des bains, une salle de festin, et une colonie d’esclaves. Aussi sa propre satisfaction, trop facilement acquise, lui est-elle devenue quelque chose d’insuffisant et de vulgaire. Il a épuisé le bien-être, il lui faut la gloire. Le luxe n’est plus une jouissance, c’est un combat. Une maison dans les règles (domus