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DE L’IRLANDE.

tholique d’Irlande, le même ecclésiastique l’explique avec justice et raison par d’amers ressouvenirs et une haine trop légitime contre l’oppression civile et religieuse. « Mais comment ne pas voir, ajoute-t-il, que la dépendance où vit le clergé pour tous ses besoins, que sa soumission forcée aux volontés d’un peuple passionné, sont les causes principales de l’altération qui a atteint le caractère du clergé ? La multitude seule tient les cordons de la bourse cléricale, elle peut ôter son pain au prêtre et le réduire à la mendicité ; et malheur, en effet, à celui qui ose lui résister en face ! Dans les momens de crise, le cri universel, parmi les populations des campagnes, est qu’elles ne souffriront pas au milieu d’elles des prêtres qui contrarieraient leurs projets, et l’on pourrait citer des exemples de la réalisation de cette menace. Un trop juste effroi de la misère a contribué à ôter toute indépendance au clergé catholique dans l’exercice de sa sainte mission, et la situation de l’Irlande restera toujours désastreuse tant que cet état de choses ne sera pas changé. »

Il faut en effet que l’église de l’immense majorité soit délivrée de cette dépendance, qui la constitue en état de complaisance devant des passions que sa mission est de contenir. Cela importe à la dignité de la religion, et plus encore peut-être à la paix publique. Une provision annuelle pour le clergé catholique serait à la fois une mesure d’équité et de haute politique ; elle deviendrait un lien précieux entre ce corps indépendant et la société civile ; elle seule permettrait de conserver à l’établissement épiscopal une partie de son immense fortune. Une somme de 600,000 livres sterling atteindrait largement ce but, et la réconciliation de l’Angleterre et de l’Irlande est à ce prix.

Rien n’indique cependant que cette importante innovation doive être prochainement essayée ; aucune proposition n’a été débattue jusqu’à ce jour au parlement relativement au salaire du clergé romain. Tous les hommes sensés estiment unanimement que cette mesure est nécessaire, qu’il ne peut y être suppléé par aucun expédient ; toutefois nul n’ose en assumer la responsabilité, et dévouer sa tête aux imprécations qu’une telle proposition ne manquerait pas de susciter. Le torysme la rejette avec horreur comme impliquant une sorte de sacrilége social ; c’est, à ses yeux, la consécration de l’indifférence religieuse, l’abomination de la désolation introduite au sein des trois royaumes ; et il le dispute de logique et d’indignation à l’école de M. l’abbé de La Mennais, stigmatisant, en 1822, le salaire de tous les cultes sanctionné par la charte athée. Le radicalisme démagogique, qui tient pour le système purement volontaire en matière de religion, ne verrait pas non plus avec faveur une telle innovation, car celle-ci