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LA VALACHIE.

les rochers des Islas et de la Porte de Fer ; mais on ne fut point tenté de recommencer l’épreuve. — Un officier du cordon sanitaire occupe avec sa famille une des trois maisons du hameau. L’unique distraction de cette petite colonie est de venir, toutes les semaines, à bord du bateau à vapeur, échanger quelques mots avec les passagers ; cette perpétuelle succession de connaissances fugitives est la seule chose qui empêche ces exilés de trouver trop d’amertume à leur isolement.

À deux heures, nous étions prêts à repartir ; nous montâmes dans une espèce de tartane, nommée, sans doute par dérision, la Bella, mais en revanche conduite par des rameurs excellens. Il serait du devoir de la compagnie d’améliorer cette partie du service et de ne point confondre ainsi pêle-mêle, dans une méchante barque, les voyageurs et les paquets. Au milieu du tumulte, je fus heureux de pouvoir trouver, sur l’avant, un ballot de marchandises qui me servit de siége ; car les retardataires, entassés dans la cabine, durent croire, sur notre parole, à la beauté des sites du Danube.

Les deux rives sont largement découpées, mais celle de Servie a quelque chose de plus sévère encore que celle du Bannat. Les rocs dont elle est hérissée sont d’une hauteur tellement égale, que, dans certaines parties, on les prendrait pour des remparts infranchissables. L’aspect de ces rocs est fort pittoresque : les uns sont dentelés comme des créneaux, ou taillés en forme de grosses tours ; les autres, minés par les eaux, avancent au-dessus du fleuve des voûtes immenses à l’abri desquelles les pêcheurs amarrent leurs frêles embarcations. D’autres rochers encore affectent les formes les plus bizarres : il en est deux qui, surmontés de plusieurs pics, ressemblent de loin à de majestueuses cathédrales ; ils paraissent se toucher et fermer le passage au Danube, qui coule aussi paisible qu’un lac ; mais on approche, les masses de granit se séparent, et l’on découvre un nouveau site borné par un amphithéâtre de montagnes. Quelquefois le lit du fleuve s’élargit, les côtes s’abaissent, et l’œil étonné des merveilles qu’il vient de voir se repose avec plaisir sur quelque hameau assis au pied d’une colline où des filets d’eau vive serpentent en tous sens. Tel est le joli village de Milanova, dans lequel les églises grecques dressent leurs clochers à côté des élégans minarets des mosquées.

À cette scène gracieuse succède bientôt une scène terrible. Un sourd mugissement annonce les Islas ; après la Porte de Fer, c’est la plus redoutable des cinq cataractes du Danube. Le fleuve est presque entièrement barré par cette ligne de brisans dont les flocons d’écume