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chie qu’en Servie. Dans ce dernier pays, en effet, point de castes privilégiées, point de noblesse. L’indépendance naquit un jour de la révolte, et tous ceux qu’un même esclavage avait nivelés se retrouvèrent encore ensemble, mais égaux et libres. Les Serviens sobres, laborieux et braves, marchent tous du même pas sous la conduite d’un homme de génie. En Valachie, le sultan pesait sur le prince, le prince sur les boyards, et les boyards sur les serfs. Il existait une tyrannie hiérarchique dont la tête seule a été détruite. Quelle que soit la position du paysan, en comparaison de celle qu’il occupait autrefois, il n’y en a pas moins un abîme entre le noble et lui. Le boyard est façonné à nos mœurs, à nos idées ; le paysan sort de l’état sauvage. Il s’agit donc de combiner dans une juste proportion les droits et les devoirs des deux classes, de faciliter la marche de la seconde sans entraver celle de la première, de laisser entre les mains des grands un patronage indispensable, mais d’abolir en même temps la servitude des petits et d’en rendre le retour impossible.

Quel espoir y a-t-il à fonder sur l’état des choses ? Un boyard, dévoué sincèrement aux intérêts de sa patrie, me disait : « Que deviendra ce malheureux pays ? Dieu seul le sait ! L’indépendance est notre rêve, ou si vous aimez mieux, notre chimère favorite. La Russie et l’Autriche cependant nous pressent de toutes parts, et, au lieu de garder entre elles un petit état dont la neutralité loyalement reconnue devrait les préserver d’un choc funeste, ces deux puissances, par un traité secret, se sont peut-être déjà partagé la Valachie. Les cabinets ne songent point à nous sauver, et notre nom n’éveille aucune sympathie chez les peuples. Les voyageurs, qui depuis l’organisation des bateaux du Danube daignent promener huit jours leur désœuvrement à Boukarest, paient, à peu d’exceptions près, l’hospitalité qu’ils y reçoivent par des plaisanteries sur nos femmes, nos modes et nos tentatives de réforme. On juge notre présent ; mais on oublie trop le passé qui l’excuse. »

Il y a du vrai dans ces paroles, car nul pays, dans notre Europe si souvent bouleversée, n’a subi plus de vicissitudes que le territoire aujourd’hui connu sous le nom de principautés du Danube. Guerres intestines, invasions, gouvernemens avides et corrupteurs, tous ces fléaux s’y sont succédé, sans interruption, jusqu’à ces dernières années. De ce chaos de faits engendrés par la force brutale ne ressort aucune idée grande et féconde, aucun enseignement nouveau. Je ne sais quel arrêt fatal semble avoir condamné l’une des plus belles contrées de la terre à offrir une arène sans cesse ouverte à toutes les