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REVUE. — CHRONIQUE.

vivre seule dans l’état et détruire toutes les autres forces ? La situation du pouvoir est telle, en France, qu’il est besoin qu’on ne le prive des lumières de personne, pas même de celles du roi, surtout quand ce roi est plein d’expérience et d’habileté. Nous croyons qu’il faut un ministère responsable, un cabinet parlementaire, c’est-à-dire répondant aux vues de la majorité ; mais nous croyons que toutes ces choses existent dès que le roi choisit ses ministres dans les chambres, et dès que les chambres les ont acceptés en votant pour eux. Ce que nous espérons, c’est que désormais, quand des ministres rempliront ces deux conditions, on les regardera comme des ministres sérieux, et qu’on discutera leurs actes sous leur responsabilité, et non en la cherchant ou en la demandant ailleurs. Nous avons vu quels sont les fruits de semblables discussions : l’impossibilité de trouver des ministres d’abord, et de là des crises sans fin, d’où résultent les affreux désordres dont nos rues portent encore les sanglans vestiges. Il est bien convenu que nous n’entendons pas blâmer les discussions et l’examen de la capacité des ministres. À nos yeux, les ministres qui n’offriraient pas une responsabilité suffisante seraient ceux qui seraient étrangers par leur vie et leurs travaux aux départemens qu’ils dirigeraient ; mais l’opinion publique fait toujours justice de tels ministres, et il n’est pas nécessaire de porter les yeux au-dessus d’eux pour les remettre dans leur véritable situation. Nous nous arrêtons sur les inconvéniens de cette polémique, parce que c’est en l’employant qu’on a faussé toutes les idées, et qu’on a produit cet étrange pêle-mêle d’opinions du milieu duquel, après une crise longue et désastreuse, on a eu tant de peine à faire sortir un ministère. Nous en déplorons les résultats, parce qu’elle a semé l’irritation dans les partis au point d’amener des exclusions bien regrettables à nos yeux, parce qu’elle a séparé M. Thiers des hommes qui partageaient ses opinions, et auxquels il eût apporté une force qui pourra quelque jour leur manquer. La séance de la chambre d’aujourd’hui ajoute à nos regrets. En écartant M. Thiers de la présidence de la chambre, la majorité nous semble avoir cédé à une fâcheuse influence, et avoir oublié à la fois la haute réputation, les talens de M. Thiers, comme les services qu’il a rendus en d’autres temps au pays. Dans la situation nouvelle que lui ont faite les évènemens, et, disons-le, la mémoire oublieuse des partis, M. Thiers aura besoin de la modération dont il a souvent fait preuve, et qui, nous l’espérons, ne l’abandonnera pas. Les hommes tels que M. Thiers ont toujours leur place marquée dans les affaires, et leur éloignement ne saurait être de longue durée, quelles que soient les apparences. Mais, nous ne craignons pas de le dire, ce n’est pas dans les rangs de ceux qui semblent aujourd’hui séparés de M. Thiers que sont ses véritables ennemis, et ceux qui travaillent chaque jour à l’éloigner du gouvernement. Il doit les chercher plutôt parmi certains organes de la presse qui se sont mis en tête de lui vouer leurs fâcheux services, et de le défendre en attaquant toutes les opinions modérées qui ont sympathisé en tout temps avec celles de M. Thiers.