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remment la révolution de la Granja, devaient s’entendre deux ans plus tard et se coaliser honorablement, sans faiblesse, sans capitulation de principes, sans abjuration de leur passé. C’est que M. Marliani et M. de Zéa sont, avant tout, des esprits pratiques. On avait d’abord mal jugé ici le premier. Chargé de faire reconnaître ou de faire pardonner au gouvernement français une révolution opérée par des soldats ivres, et qui se présentait sous un jour si odieux, on avait craint de trouver en lui un ardent tribun, formé dans les clubs de Madrid, ou l’agent de coupables intrigues. J’ai tout lieu de croire que l’on n’a pas tardé à reconnaître qu’on s’était trompé. M. Marliani s’est bientôt fait apprécier comme un esprit éminemment politique, c’est-à-dire raisonnable et modéré, qui ne ferme pas obstinément les yeux et les oreilles à ce qui contrarie ses opinions ou ses désirs, pour qui la leçon des événemens n’est pas perdue, et qui est capable de transiger sur les moyens, pourvu que le but ne soit pas sacrifié. Je ne connais M. Marliani que par ses actes. Je vous avouerai que j’ai partagé contre lui les préventions communes ; mais j’en suis revenu, grâce à un examen plus attentif et à des renseignemens plus exacts. La démarche à laquelle il vient de s’associer lui fait, j’ose le dire, le plus grand honneur, en ce qu’elle le montre supérieur aux stupides préjugés qui rendent en tout pays les partis et les hommes exclusifs si peu propres aux affaires.

La mission de M. Zéa en Allemagne n’est pas le fait du gouvernement espagnol. Ce n’est donc pas l’Espagne constitutionnelle qui a échoué dans une tentative officielle et patente de rapprochement auprès des cabinets de Vienne et de Berlin ; ce sont deux particuliers, citoyens espagnols, l’un par sa naissance, l’autre par son libre dévouement à une patrie d’adoption, qui ont tenté, à leurs risques et périls, et sous la responsabilité exclusive de leur nom, les premières démarches, celles qui s’adressaient au gouvernement prussien ; mais ils étaient sûrs d’un auguste assentiment, car, si je puis compter sur l’exactitude de mes informations, puisées à une source excellente, M. Marliani avait reçu directement de Madrid, quoique par des voies mystérieuses, deux lettres autographes de la reine, la première pour lui-même, la seconde pour M. de Zéa, qu’il devait aller chercher à Carlsruhe, lesquelles lettres auraient déterminé leur honorable entreprise. Ils se rendirent d’abord à Berlin, en donnant pour motif à leur voyage une négociation étrangère à la question politique, et dont le but était d’engager les puissances du Nord à faire cesser, par une intervention efficace auprès de don Carlos, ces horribles massacres de prisonniers qui remontaient principalement à la déplorable initiative de Cabrera. MM. de Zéa et Marliani reçurent personnellement à Berlin un accueil très favorable. M. de Zéa plaisait ; son nom était une garantie d’ordre ; il personnifiait en lui, pour ainsi dire, le système politique de l’administration prussienne, ce despotisme éclairé, qu’il avait regardé comme le système de gouvernement le plus propre à régénérer l’Espagne, et dont il faut convenir que la Prusse offre avec succès la plus habile application. Quant à M. Marliani, il ne déplut pas, et ce fut assez. Quoique l’on soit à Berlin plus tolérant sur le chapitre de la religion que sur celui de la politique, on