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REVUE. — CHRONIQUE.

n’y ressent pas contre les hommes et les principes libéraux cette animosité dont plusieurs autres cabinets se montrent trop souvent susceptibles. D’ailleurs, le nom de M. de Zéa protégeait celui qu’une pensée prévoyante lui avait habilement associé pour rassurer sur cette mission l’opinion libérale en Espagne, en Angleterre et en France. L’accueil de M. de Werther, auquel on suppose cependant une inclination bien prononcée pour don Carlos, à cause de leurs anciens rapports d’amitié en Espagne, ayant encouragé les deux diplomates, ils essayèrent d’aborder la question politique, et voici comment ils comprirent leur mission. Ils n’ignoraient pas que le principe de légitimité, allégué par les partisans de don Carlos et par les cabinets du Nord en faveur de ce prince, n’était guère autre chose qu’un prétexte pour ne pas reconnaître la reine Isabelle II ; ils savaient que la question du gouvernement intérieur de l’Espagne avait une importance bien plus réelle aux yeux de l’empereur Nicolas, de M. de Metternich et de M. de Werther ; enfin ils ne se dissimulaient pas que, dans un autre ordre d’intérêts, c’était surtout l’alliée de l’Angleterre et de la France que la Prusse, l’Autriche et la Russie craignaient de voir s’établir solidement sur le trône d’Espagne. Mais ils pensèrent néanmoins que s’ils parvenaient, sans entrer dans la question d’institutions, à démontrer que le principe de la légitimité, comme on l’entend à Vienne et à Berlin, était positivement en faveur de la jeune reine, ils rendraient à sa cause un grand service ; qu’ils éveilleraient peut-être des scrupules dans certains esprits ; qu’à tout hasard ils enlèveraient à la mauvaise foi un prétexte commode, en ne laissant aux cabinets qui se refusent à reconnaître Isabelle II d’autre raison à invoquer que la raison d’état, raison plus variable, et, après tout, moins respectable que le principe de légitimité.

C’est ce qu’a fait M. de Zéa dans un mémoire historique fort curieux, que je crois peu susceptible d’une réfutation sérieuse, et qui est aujourd’hui assez répandu pour que je ne vous y arrête pas long-temps. Nous y reviendrons tout à l’heure. Poursuivons le récit de la mission qui, vous ai-je dit, semblait, à son début, permettre quelque espérance. M. Marliani, voyant M. de Zéa favorablement écouté à Berlin, sentit alors le besoin d’un appui extérieur qui donnât plus de force à son langage. Ici, monsieur, j’ai un aveu pénible à vous faire. Ce n’est pas à la France que les deux envoyés espagnols crurent pouvoir demander cet appui avec quelque chance de succès. Malgré la chute des hommes de la Granja, la France a gardé, depuis quelques années, envers l’Espagne, une attitude d’observation bienveillante, mais si peu caractérisée par des actes, qu’on a pu la croire fermement résolue à laisser la cause de la reine lutter et triompher toute seule. D’ailleurs, le gouvernement français, au milieu de ses embarras intérieurs, aurait peut-être accueilli avec trop d’indifférence les ouvertures qu’on lui aurait faites dans un moment si mal choisi. J’aimerais mieux cependant m’expliquer, par un autre motif dont je parlerai plus tard, le peu d’empressement que manifestèrent MM. de Zéa et Marliani à solliciter l’appui officiel de la France en faveur de leur essai de né-