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REVUE. — CHRONIQUE.

les mêmes que ceux de Philippe V en 1713, les effets doivent être les mêmes. Ces deux rois ont pu défaire ce que leur aïeul avait fait, et au même titre, avec cette différence que Charles IV et son fils Ferdinand VII ont procédé avec la plus rigoureuse légalité et la plus grande solennité, se trouvant d’accord avec la nation assemblée en cortès, avec l’esprit et la lettre des lois, et la coutume immémoriale, tandis que Philippe V viola le fond et foula aux pieds les formes. « Si par contre on veut entacher d’arbitraire les actes de 1789 et de 1830, et les frapper de nullité, nous y accédons encore par hypothèse. Alors la même accusation d’arbitraire, la même nullité, retombent, à plus forte raison, sur l’acte de 1713 ; et, mettant le tout à néant, nous nous trouvons face à face avec la loi ancienne, la seule vraie, la seule légitime par une consécration de huit siècles d’existence, la seule qu’il soit permis d’invoquer, et celle-ci appelle au trône des rois catholiques, comme reine et légitime souveraine des Espagnes, Isabelle II, fille de Ferdinand VII. »

Tout cela, comme raisonnement, me semble irréprochable et tout-à-fait concluant. Le droit est clairement établi. Mais le droit sans la force, n’est-ce pas un peu la vertu sans argent ? Que la cause constitutionnelle se montre plus forte, qu’elle soit plus heureuse, qu’elle triomphe plus souvent dans les combats, qu’elle s’organise et se discipline avec plus de puissance, et toutes les répugnances des cabinets du Nord pour l’ordre de choses actuel, toutes leurs sympathies pour don Carlos, reculeront devant un fait, céderont à la fortune. Je voudrais pouvoir ajouter que ce moment n’est pas éloigné ; je voudrais pouvoir signaler, dans l’état matériel et moral de l’Espagne, ces symptômes d’amélioration qui annoncent qu’un peuple se relève et se régénère : mais si depuis quelque temps on n’a pas de grands désastres à déplorer, on n’a pas non plus à se féliciter d’aucun progrès réel, soit dans la sphère politique, soit dans l’ordre des événemens militaires. Toujours la même impuissance, toujours la même pauvreté, toujours la même absence d’hommes capables et d’énergie dans les populations. Espartero dans les provinces du nord, le baron de Meer en Catalogne, le chef de l’armée du centre en Aragon, hier Van-Halen, aujourd’hui Nogueras, sont chacun souverains absolus à la tête de leurs troupes et sur tout le territoire qu’ils occupent. Espartero est, de plus que les deux autres, en possession d’une influence toute puissante sur le gouvernement de Madrid, influence qui fait et défait les ministères, mais qui n’imprime pas aux affaires une marche plus énergique et plus décidée. Voilà, en effet, qu’au bout de quatre ou cinq mois, l’administration nominalement dirigée par M. Perez de Castro s’est dissoute d’elle-même, par la faiblesse de l’ensemble et la désunion des membres. Ce ne sont pas les cortès qui ont embarrassé sa marche, puisque les cortès sont prorogées ; ce n’est pas la levée inexplicable du siége de Segura par Van-Halen qui a frappé de mort le cabinet, puisque cet évènement, si fâcheux et humiliant qu’il soit, n’est pas, après tout, une catastrophe comparable au revers essuyé par Oraa devant Morella. Qu’est-ce donc ? Probablement une intrigue, une rivalité d’influences personnelles, un dissentiment puéril entre le général Alaix et le ministre des