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placer au beau milieu des sciences qui se le renvoient comme une balle, sans qu’il puisse savoir à laquelle se fixer, tient du persiflage plus encore que de l’ironie. Ici, au contraire, rien de tout cela. Quand l’ironie éclate dans le second Faust, elle est sombre, chagrine, maussade, pleine d’amertume et de fiel. Peut-être la cause de cette différence est-elle tout entière dans la question de temps. La première de ces deux scènes fut écrite à vingt ans, les yeux fixés sur l’avenir où le soleil resplendit toujours, quoi qu’on dise, et l’autre à soixante-dix, les regards tournés vers les ombres du passé ; à cet âge où l’on a acquis toute expérience des hommes et des choses, où l’on sait ce que le fruit de la pensée peut donner de suc généreux et fécond sous la main puissante qui l’exprime ; à cette heure à jamais funeste et déplorable où l’homme de génie voit les rangs s’éclaircir autour de lui, où les défections commencent, où l’on sent que l’on tarde à mourir et que l’on s’isole de jour en jour dans le linceul de sa gloire. L’ironie des jeunes gens tient du persiflage, celle des vieillards du désespoir ; l’une, toute superficielle, rôde à l’entour des lèvres, semblable aux zéphyrs des soirs d’avril, qui ébouriffent les roses sur leurs tiges sans les flétrir ; l’autre s’exhale comme un vent maudit des abîmes desséchés du cœur humain, et souffle partout sur son passage la désolation et la mort. — Méphistophélès vis-à-vis du bachelier, c’est tout simplement Goethe en face de la jeunesse d’aujourd’hui, de cette jeunesse active, impétueuse, à la fois dévouée et rebelle, qui se donne corps et biens à la première gloire qui l’éblouit, ne peut vivre dans le cercle étroit d’une admiration immuable, et qui, tôt ou tard, s’impatiente du joug de l’autorité ; qui n’a sous le ciel d’amour, d’enthousiasme et de culte que pour les idées, et lorsqu’il se rencontre sur son chemin un mortel digne de les représenter, fait station autour de lui, le proclame glorieux et l’aide autant qu’il est en elle à remuer le monde, mais spontanément, sans arrière-pensée ni pacte conclu ; trop fière pour jamais engager son indépendance dans l’avenir, et toujours prête à se disperser dès qu’elle croit voir les belles étoiles de la terre filer vers d’autres régions[1].

Nulle part le fiel de cette scène ne se laisse plus amèrement sentir

  1. Cette humeur inquiète qui venait à Goethe de la mélancolie qui s’attache aux vieillesses glorieuses, et les accompagne jusqu’à la tombe, se révélait surtout dans l’intimité de sa conversation, où l’ont surprise ceux qui l’abordaient dans les dernières années de sa vie. Voici ce qu’il disait à Falk dans un de ces accès : « Il en est aujourd’hui de la république des lettres en Allemagne absolument comme de l’empire romain à l’époque de la décadence, lorsque chacun voulait gouverner et qu’on