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dans le présent pour relever son autel dans le passé. Il renonce aux illusions de Roméo pour se faire les illusions de Pâris. Les imaginations lascives dont il vient d’être bercé durant son court sommeil, éveillent en lui d’irrésistibles fantaisies ; les brises qui frémissaient tout à l’heure dans ses cheveux, lui ont apporté quelque chose des grèves de Sunium et des roses de Tempé. Il s’éveille les bras étendus vers la beauté plastique, appelant la Grèce de tous ses vœux. D’ailleurs n’est-ce point là, sous ce ciel enchanté, dans ce pays des fleuves et des bois sacrés, des nymphes et des dryades, que respire entourée du chœur des vierges troyennes l’épouse de Ménélas, Hélène, l’objet de son culte idéal, la maîtresse de sa pensée, comme Marguerite le fut jadis de son cœur. Quant à Méphistophélès, il fera le voyage en vrai touriste, en vieux diable qui n’est pas fâché de s’instruire et de voir du pays. À parler franchement, le monde antique, tout peuplé de dieux et de héros inconnus, ne le séduit guère au premier abord. Cet enfer, gouverné par un dieu impassible et qui ne connaît ni la haine, ni les désespoirs de l’orgueil enchaîné, lui semble misérable, à lui l’ange déchu, l’esprit du mal, le diable de la hiérarchie catholique. Cependant il finit par céder au vent du destin qui le pousse, et se rendre aux instances d’Homunculus, dont le cristal sonore illumine le chemin de splendeurs phosphorescentes. Après tout, là aussi Méphistophélès pourra bien se trouver en pays de connaissance. Si les gnomes et les salamandres lui manquent, il aura les griffons et les kabires, et, comme Œdipe, il causera sur les ruines de Thèbes avec les sphinx, ces divinités monstrueuses qui rampent comme des lézards sur les pans croulés des murs cyclopéens ; il pourra soulever leurs mamelles pendantes et leur dire en face, en les quittant, le grand mot de l’énigme antique qu’il sait à coup sûr mieux que personne. D’ailleurs la nature n’a-t-elle pas mis au fond des choses des fils mystérieux par lesquels se rattachent entre elles les idées éternelles de l’humanité, et ces fils qui servent à guider les intelligences humaines à travers le ténébreux labyrinthe du temps, le diable ne peut-il donc les saisir comme un simple mortel ? Ici éclate la sollicitude de Goethe pour son personnage de prédilection. Cette sollicitude, en pareille circonstance, est tout simplement un trait de génie. Grace à l’effort prodigieux du poète, Méphistophélès entre seul dans le monde antique sans presque se dépayser ; il est là comme il était sur le Brocken, entouré des siens et de sa famille.

La mythologie païenne a de secrets abîmes qu’on ignore : bien loin de cet olympe de lumière et d’azur où se meuvent, dans leur