Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/652

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
648
REVUE DES DEUX MONDES.

Méphistophélès, se secouant. — Je ne suis guère devenu plus sage, à ce qu’il me semble. Ici, comme dans le nord, ce qui se passe est absurde ; ici, comme là-bas, les spectres sont hideux, le peuple et les poètes insipides ! La mascarade, comme partout le sabbat des sens ! J’ai pris au hasard parmi des masques gracieux, et mes mains ont saisi des êtres qui m’ont fait horreur ! Encore je me tromperais volontiers pour peu que cela durât plus long-temps ! (Il s’égare au milieu des rochers.) Où suis-je donc ? Où vais-je ? C’était un sentier, et maintenant c’est un abîme ; j’ai passé pour venir par un chemin uni, et maintenant voilà qu’à cette heure je me perds dans des décombres. En vain je grimpe et redescends. Où retrouverai-je mes sphynx ? Oh ! oh ! je n’aurais jamais imaginé rien de si prodigieux !… Une montagne pareille dans la nuit, j’appelle cela une joyeuse cavalcade de sorcières qui portent leur Blocksberg avec elles.

Oréas[1], roc de nature. — Viens ici. Ma montagne est vieille et se tient dans sa forme originelle. Visite les sentiers escarpés qui serpentent dans le roc, derniers rameaux du Pinde. Ainsi je me tenais debout, inébranlable, lorsque Pompée courut fugitif sur mon dos. Auprès de moi, l’œuvre de la fantaisie s’abîme au chant du coq. J’ai vu souvent de pareils contes naître et soudain s’évanouir.

Méphistophélès. — Honneur à toi, tête vénérable que la force des chênes couronne ! Le plus pur clair de lune ne pénètre pas dans tes ténèbres ; mais le long des buissons perce une lumière dont l’étincelle tremblotte. Comme on se rencontre ! Je ne me trompe pas, c’est Homunculus. Où vas-tu, mon petit camarade ? ....................


Ici les esprits de l’antique nature commencent à s’émouvoir en tous sens, les eaux du Peneïos s’enflent et bouillonnent, les feuillages sacrés ondulent, et des bruits inouis roulent dans les airs sur les ailes du vent. Les idées antiques et les idées modernes se rencontrent et se donnent la main dans ce Josaphat poétique. Tant que dure l’intermède, on se sent comme enveloppé d’une vapeur mélodieuse ; il semble qu’on entend planer dans l’air, au-dessus de la voix des sphinx, des syrènes et des dactyles, une harmonie âpre et sauvage dont on écoute avec ravissement les divagations infinies, sans essayer de remonter à leur source. On ignore qui soulève ainsi dans l’espace cette grande voix éplorée et confuse, si c’est le passé qui chante ou le présent. Cela peut venir d’Orphée errant dans les bois de la Thrace, ou de Weber conduisant à travers les brouillards sonores la meute fantastique de Samiel. Tout s’anime, frissonne et palpite : on dirait

  1. Oréas est opposé ici à la montagne que Seismos, dans la nuit de Walpürgis, fait sortir du sein de la terre pour la peupler d’êtres fantastiques, et qui disparaît aussitôt après.