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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/689

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SIDOINE APOLLINAIRE.

Dans le panégyrique d’Avitus, Sidoine, au milieu de ses fadeurs allégoriques, trouve aussi quelque vigueur pour peindre la cohue de peuples qui se presse sous les drapeaux d’Attila, et le pirate saxon qui fend les vagues bleuâtres de l’Océan.

Maintenant, opposons à ces peintures des barbares purs, sans mélange de civilisation, la peinture du barbare qui se civilise, du chef qui affecte, jusqu’à un certain point, les manières d’un empereur romain ; c’est ce que nous trouverons dans la lettre où Sidoine décrit la petite cour de Théoderic II à Bordeaux.

Dans cette lettre, Apollinaire rend un compte exact, moment par moment, de la journée du chef barbare. D’abord, de grand matin, il commence par aller au milieu des prêtres ariens et passe quelque temps avec eux en prière. Sidoine dit bien bas à l’ami auquel il écrit : « Si tu veux me garder le secret, je te confierai que c’est plus par habitude que par religion. » Puis Théoderic consacre la matinée à l’administration du royaume. Il assemble autour de lui la foule bruyante de ses satellites couverts de peaux ; il les fait comparaître en sa présence pour s’assurer qu’ils sont bien là sous sa main. Quand il s’en est assuré, il les congédie ; on les entend murmurer et gronder derrière le voile qui sépare le roi de la foule, disposition empruntée aux habitudes et aux formes de l’étiquette impériale. À la deuxième heure, Théoderic se lève pour aller, dit Sidoine, inspecter son trésor ou ses étables ; vraie récréation de barbare ayant conservé l’appétit de l’or et les instincts du nomade. Puis vient le banquet, et Sidoine observe que l’on boit très sobrement, ce qui est remarquable pour des Germains ; après avoir fait la méridienne (somnus meridianus), Théoderic joue aux dés ; et Sidoine, qui ne sacrifie pas volontiers une occasion d’adresser des complimens au roi, assure que soit qu’il gagne, soit qu’il perde, il est toujours philosophe. Cependant, un peu plus loin, Sidoine avoue que c’est un très bon moyen de bien se mettre en cour auprès du roi goth que de perdre à propos, et que lui, Sidoine, y manque rarement. Puis les affaires recommencent jusqu’au soir. Le soir on se disperse, et chacun va achever la journée chez son patron. Ce tableau est remarquable. La religion officielle occupe quelques instans de la matinée ; ensuite le chef s’entoure des siens, tout en ayant soin de les tenir à distance ; les audiences derrière le voile, à table, cette espèce de régularité qui remplace l’intempérance naturelle aux nations germaniques, tout cela atteste un certain effort vers la civilisation, une certaine prétention aux manières romaines ; le barbare se retrouve dans la visite au trésor ou à