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souciante des ouvriers, cette grêle de bons mots et de coups de bâton qui faisaient les frais de la fête. Il a saisi à vol d’oiseau tous les détails de ce drame avec une grace vraiment vénitienne. Même à présent sa poésie n’est pas dépourvue de charme ; elle transporte le lecteur dans l’époque dont elle peint les mœurs, et réveille le gros rire du vieux temps. Dans les dernières stances du poème, la scène change ; on quitte le champ de bataille pour assister à l’agonie de deux combattans. L’un laisse son bien à la ville, à condition qu’elle décernera un prix au Nicoloto qui se battra avec le plus de valeur à la Saint-Simon ; l’autre meurt en chrétien, en rappelant aux Vénitiens qu’ils sont tous fils de saint Marc, et qu’ils doivent s’aimer comme des frères. Mais cette moralité est prononcée du bout des lèvres. « Il y a eu plusieurs morts, dit l’auteur ; patience ! telle est la volonté de celui qui a bâti le monde. » On voit bien que l’année suivante on se battra de même ; les nobles riront sous cape à leurs balcons ; seulement prendront-ils garde à ce que le carnage n’aille pas trop loin : l’arsenal en souffrirait. — Ce poème n’a été imprimé qu’en 1817. Il laisse supposer une foule de poésies du plus haut intérêt. On ne peut se persuader, en effet, que l’auteur d’une œuvre si distinguée n’ait eu ni maîtres, ni disciples, ni collègues, et se soit borné à écrire une centaine de stances.

Calmo est le poète le plus célèbre de Venise, et le premier qui se soit servi du patois dans le but de le maintenir contre l’influence croissante de la langue italienne. Il écrivit des comédies, des églogues et des lettres[1]. Ses lettres sont des complimens, des panégyriques, des flatteries ampoulées qu’il adressait à ses Mécènes de Venise et à tous les grands artistes de l’Italie. Il y déploie une extraordinaire facilité de bavardage, et un luxe d’images tout-à-fait byzantin. Ses périodes sont longues et compliquées, il les surcharge d’épithètes et de métaphores, il ne se borne pas à quatre ou cinq adjectifs pour qualifier une idée, il continue tant qu’il trouve des mots ou des synonymes, et il ne quitte sa période que quand elle est bariolée de toutes les couleurs que lui fournit la langue. « Que vous soyez béni, dit-il à un de ses amis, homme aromatisé, verni, lavé dans les fontaines de l’Hélicon, nourri avec les herbes du Parnasse, élevé dans les écoles d’Athènes, grandi dans le paradis terrestre ; humain, gentil, honnête, prudent, docile, courtois, sage, généreux, etc., etc. Vous êtes la comète des Romains, ajoute-t-il, le pivot du consistoire, la colonne de feu qui guide le navire de saint Pierre. Phébus, Mercure, Salomon, Alexandre, Scipion, Darius, Annibal, Xercès, Charlemagne, Gatta-Melata, perdraient leur réputation vis-à-vis de vous. » Il semble que toute l’histoire ne soit là que pour remplir de phrases ces interminables apologies.

Calmo est amoureux du faux éclat, il surcharge son style, il complique le mètre et jusqu’à la langue en la mêlant à l’italien. Ses églogues se ressentent du voisinage de la ville ; on y entend les bruits de Venise, les réparties, les

  1. Lettres en vénitien, 1550. — Rimes de Pêcheurs, 1553. — Églogues, 1553. — Six comédies : la Spagnolas, le Saltuzza, la Pozione, Fiorina, la Rodiana, le Travaglia, 1549-1556.