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devant le palais royal. La cour s’étonne, à l’exception de Pantalon que rien ne surprend plus. Cependant Bredouille revient à l’improviste après sa longue absence ; il montre toute la sévérité de l’homme mûr ; il se méfie d’Arlequin dont il connaît l’égoïsme et la friponnerie. Bredouille devient amoureux de la jeune maîtresse du palais enchanté ; la reine-mère, jalouse de celle-ci, veut la perdre, et lui inspire des désirs insensés. Le frère de la jeune fille part pour les satisfaire. Il s’agit de trouver les pommes qui chantent, l’eau qui danse et l’oiseau verdelet. Tous ceux qui ont voulu s’emparer de ces objets ont été transformés en statues. Le jeune homme arrive dans le pays enchanté de l’oiseau verdelet, il voit ses prédécesseurs pétrifiés, mais il est secouru par Calmon, et après quelques combats, il s’empare des trois merveilles et délivre une population de statues, entre autres Cigolotti, le charlatan de la place Saint-Marc, qui a tenté la même entreprise. La conquête de l’oiseau verdelet dissipe tous les malheurs du royaume de Carreau ; la fille des Oranges est tirée encore vivante de son souterrain, et Bredouille retrouve ses enfans dans les deux jumeaux recueillis par Arlequin. Toutes ces aventures sont prises des contes napolitains ; Gozzi les a mises en action avec de nouveaux caractères, de nouvelles mœurs, avec un singulier mélange de comique, de parodie et de terreur ; et rien de plus surprenant que ce drame si rapide, si éblouissant par ses merveilles, si puissant par sa moquerie, et si varié par ses coups de scène. Même force, même verve, mêmes contes magnifiques dans les trois dernières pièces de Gozzi ; Zeim, roi des génies, est la plus brillante. L’attention est partagée entre deux groupes de personnages ; d’un côté, on voit un royaume imaginaire plongé dans la désolation, une capitale assiégée, un prince dissolu, une princesse transformée en tigre, des cruautés burlesques ; Scapin et le Bègue remplissant les fonctions de capitaine et d’ambassadeur. De l’autre côté, on voit Pantalon retiré des affaires, dégoûté du monde, et résolu à vivre solitaire pour élever sa fille dans l’innocence. Le roi des génies le force à retourner à la cour, et à donner au roi la main de sa fille. Ici, comme dans l’Oiseau verdelet, la magie et la poésie s’unissent pour faire la satire de la société. Dans le premier acte, la fille de Pantalon voudrait aller à la ville : « Sais-tu, ma fille, lui dit Pantalon, ce que c’est qu’une ville ? Six mille dames affectées, vingt mille flatteurs qui rendent les femmes encore plus folles et méchantes qu’elles ne le sont, cinq cents marchands qui ne peuvent pas se faire payer, quarante mille personnes qui s’embrassent et se trahissent, trois mille voleurs qui te voleraient ta chemise, huit mille hommes qui maudissent l’échafaud parce qu’ils ne peuvent pas assassiner au gré de leur volonté philosophique, une centaine de vieillards isolés qui se rendent ridicules parce qu’ils prêchent la crainte de Dieu, la sagesse, la vérité, et déplorent la ruine des fortunes, de l’honneur et des familles : voilà ce qui compose la ville. Irons-nous la voir ? »

Après avoir écrit huit drames féeriques (fiabe), Gozzi, guidé par les habitudes de coulisse, tourna son attention vers le théâtre espagnol ; il arrangea quelques pièces de Calderon et de Moreto à l’usage de la compagnie Sacchi. Le