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que la sentence du proconsul romain n’est mentionnée nulle part dans l’antiquité. Fabricius, dit-il, et après lui M. Thilo, savant professeur de Tubingue, en ont vainement cherché tour à tour des traces dans les manuscrits et les livres imprimés depuis trois siècles, et l’Allemagne savante elle-même ne l’a pas connue. L’un des hommes de ce temps-ci qui savent le plus spirituellement les vieux livres, M. Augustin Soulié, vient de répondre à ces affirmations de M. Isambert, en réimprimant avec la plus scrupuleuse fidélité d’imitation typographique le Thrésor admirable de la sentence de Ponce Pilate, trouvée écrite sur parchemin dans un vase de marbre, en la ville d’Aquila au royaume de Naples sur la fin de l’année 1580. Les apocryphes, les écrivains légendaires ont raconté de Pilate tant de choses confuses, et tout au moins improbables, qu’il est permis, à nous sceptiques et même aux mieux croyans, de se défier cette fois du miracle. Il en est de ce texte problématique comme de la maison où est mort le juge de Jésus, et que l’on montre à la fois à Vienne en Dauphiné et à Rome, comme aussi des degrés de marbre de la scala sancta, derniers débris du palais de Pilate, et sur lesquels les fidèles se traînent à genoux. Que M. Isambert ait appliqué à cette sentence le contrôle d’une érudition sévère, qu’à l’aide des textes, des formules de la jurisprudence romaine, il l’ait arguée de faux, il était là dans sa sphère et dans tous les droits de la science ; il travaillait, comme les bénédictins, au discernement des fausses reliques. L’Évangile lui-même lui prêtait son autorité, car l’Évangile dit simplement que Pilate livra Jésus aux Juifs. Mais quand M. Isambert affirme qu’aucun écrivain ecclésiastique moderne, italien ou autre, n’a soupçonné le texte d’une sentence, on a lieu d’être surpris. Il eût en effet suffi à M. Isambert d’ouvrir Simon ou Calmet, et d’y chercher le mot Pilate ; il aurait lu l’indication ou la transcription complète de huit sentences, diversement reproduites par saint Anselme, Vincent Ferrier, Lansperg, Guillaume de Paris, l’évangile de Psicodême, Jean de Carthagène, et Andrichomius-Sempronianus. Le savant jurisconsulte, nous le savons, pouvait se dispenser à la rigueur de connaître ces écrivains qu’on n’a guère occasion de consulter dans la pratique. Mais si ses dissertations théologiques présentaient souvent des omissions de cette sorte, les érudits renonceraient vite à les invoquer comme autorité. Le sujet est grave d’ailleurs, et veut être étudié à fond. M. Isambert possède parfaitement l’histoire des jésuites et des moines, contre lesquels il a fait plus d’une campagne ; mais l’histoire des origines chrétiennes et l’exégèse présentent, si nous ne nous trompons, de plus sérieuses difficultés. La critique, en semblables matières, a besoin d’être mûrie, car elle a pour juges d’une part ceux qui doutent, et de l’autre, ceux qui veulent garder pures les traditions du passé.

Du rétablissement de l’ordre des frères prêcheurs en France, par M. Lacordaire[1]. — Parmi ceux qui de notre temps marchent, ou du moins croient marcher d’un pas plus ferme et plus rapide, vers le pôle de l’avenir, comme le dit M. Lacordaire, il en est quelques-uns qu’il faut dis-

  1. 1839, in-8o, chez Debécourt, 69, rue des Saints-Pères.