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ruines, et nous ne voudrions point nous montrer absolument hostiles à des tentatives généreuses, quand elles ne seraient que des illusions. Il nous vient bien des velléités de combattre ; mais qu’opposer après tout, si ne n’est ce triste scepticisme, si ce n’est ce doute sans élévation, qui n’a plus même la sombre poésie des vives inquiétudes, et qui inspire à la plupart des esprits de notre temps, sur les problèmes éternels de la vie, un dégoût et un dédain pratiques qui touchent à l’indifférence ? Nous n’en avons ni le désir ni le courage ; et en cette singulière confusion d’idées et de systèmes, en cette rapide dégradation des hommes les plus grands et les plus aimés, en ce morcellement impitoyable et successif de toutes les croyances, qui semblent le caractère de ce siècle, ne serait-ce pas une injustice, quand on n’a point soi-même de centre sûr, quand on ne peut rattacher ses actes à une foi suprême et profonde, ne serait-ce pas même un mal de ne toujours trouver, pour ceux qui croient sincèrement, que des objections ou des épigrammes ? Nous demanderons seulement à M. Lacordaire, en lui accordant le fonds même, pour ne pas soulever des questions préjudicielles qui voudraient des volumes et des années, nous lui demanderons si le parti extrême qu’il paraît vouloir adopter, si le vœu absolu en faveur d’un seul moyen de conversion ne sont pas un peu hâtés et inopportuns ? Les Frères Prêcheurs du XIIIe siècle nous reportent à une époque de foi bien vive et de grande poésie chrétienne. Une pareille tentative a-t-elle maintenant la moindre chance de succès, et les questions prochaines, misérables si l’on veut, qui nous préoccupent, laisseront-elles écouter davantage les sermons d’une voix éloquente et persuadée ? C’est une chose triste à dire, peut-être ; mais il se lit chaque jour en France plus de colonnes de journaux que de pages de la Bible, et M. Lacordaire, avec son chaleureux et vif talent, serait plus utile à sa cause, à la cause du catholicisme, en restant sur la brèche même et dans la lutte. Nous savons qu’il fait bon marché de sa personne, et qu’il se dévouera au besoin s’il ne réussit point. Mais, dans l’intérêt même des croyances qu’il croit devoir défendre, cette abnégation et ce sacrifice sont-ils bien entendus, et, en voulant soutenir la religion comme on le faisait au moyen-âge, faudrait-il se résigner à ne plus employer les armes de ce temps-ci ? Nous ne voulons rien prévoir d’ailleurs ; eventus belli varios.