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REVUE. — CHRONIQUE.

défavorable, selon que l’agression sera venue du pacha ou de la Porte. Sans doute les intérêts des puissances comme leurs rivalités seront les mêmes ; mais le droit d’agir changera ; et sans connaître les évènemens, la France comme l’Angleterre doivent déjà avoir réglé leur conduite, de manière à n’avoir plus qu’à appliquer les principes, dès que les faits seront connus.

Depuis la révolution grecque, la Turquie a été poussée, de plus en plus, dans la voie où elle était entraînée long-temps avant. À cette époque, et dans une note présentée par l’envoyé russe, la Russie mit en question l’existence même de l’empire turc, car c’était la mettre en question que de déclarer qu’elle voyait, dans la conservation du gouvernement turc, un moyen de plus de consolider la paix en Europe. L’empire turc n’était plus ainsi un principe en Europe, mais une affaire de convenance, un avantage dont il fallait profiter. Des évènemens terribles pour la Turquie donnèrent une grande force aux termes de cette note, et depuis le traité d’Andrinople jusqu’au traité d’Unkiar-Skelessi, la décadence de cet état fut bien rapide. Toutefois le traité d’Andrinople était encore un acte de puissance à puissance. La force donnait à la faiblesse dont elle triomphait les raisons de ses actes. La Russie s’emparait de la rive gauche du Danube ; mais c’était, disait-elle, dans un intérêt tout européen, pour former des établissemens sanitaires et limiter les ravages de la peste. Si elle exigeait la remise des forteresses de Circassie, ce n’était que pour mettre un terme au commerce des esclaves. Deux cents lieues de côtes garnies de forteresses, l’interception de la route commerciale intérieure de l’Europe vers la mer Noire, la séparation presque totale des principautés et de la Porte, la prépondérance de la Russie dans ces provinces, des avantages commerciaux, des frais de guerre, tels étaient les beaux résultats de ce traité. Il faut néanmoins savoir toujours gré à ceux qui imposent des conditions, quand ils emploient des formes modérées et justifient leurs prétentions par des principes, car ces formes et ce langage montrent qu’on se croit obligé de ménager ceux qu’on a réduits, et en politique, c’est une preuve incontestable qu’on leur reconnaît encore quelque force. Les termes du traité d’Andrinople, quelque sévères qu’en fussent les articles, prouveraient ainsi que la Turquie existait encore comme puissance aux yeux de la Russie ; et, en effet, il a fallu de nouveaux évènemens, plus malheureux encore que les premiers, pour changer les conditions d’existence de l’empire ottoman.

Ces évènemens eurent lieu entre le traité d’Andrinople et celui d’Unkiar-Skelessi, qui fut le résultat du refus que fit l’Angleterre de secourir la Porte contre son vassal, et, disons-le, du peu d’appui donné à notre ambassadeur, qui sentait toute l’importance du rôle que pouvait jouer la France en Orient. L’appui que la Porte avait cherché vainement près de la France et de l’Angleterre, elle dut le recevoir de la Russie, tout en voyant ce que lui coûterait la protection d’une puissance si voisine. Grâce à l’Angleterre et à la France, la Russie préserva réellement l’empire turc, ou du moins la capitale de cet empire. Elle avait pénétré dans le Bosphore, elle eut la modération ou plutôt