Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/777

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
773
LES VICTIMES DE BOILEAU.

dit-il à la nouvelle reine, pour rendre mes très humbles et très fidèles devoirs à votre majesté, et pour lui porter ce que j’avais déjà fait de cette pièce (son poème), je fus pris par la garnison de Saint-Omer. Sans doute que si je n’eusse dit aussitôt que j’avais l’honneur d’être un des gentilshommes de sa chambre, et que je ne me fusse comme revêtu de si belles et de si fortes armes, je n’aurais jamais pu parer ce coup d’infortune. Je courais risque de perdre la vie, et le Moïse sauvé était le Moïse perdu. Mais ceux qui me prirent, quelque farouches et quelque insolens qu’ils fussent, respectèrent en la personne du domestique la grandeur de la maîtresse : l’éclat d’un nom si fameux et si considérable leur fit suspendre la foudre qu’ils étaient tout prêts de faire tomber sur moi, et leurs yeux, la voyant luire comme un bel astre au premier des cahiers de mon ouvrage, en furent tellement éblouis, qu’ils n’osèrent plus les regarder. »

Cette préface n’est pas d’un courtisan malhabile, et Saint-Amant savait son monde. Après avoir vidé bien des brocs avec les Polonais, il s’acclimate à Varsovie. Marie de Gonzague l’accueille bien ; c’est lui qu’elle charge d’assister au couronnement de la reine de Suède, Christine. De Henri d’Harcourt à cette princesse aventureuse, de cette dernière à Christine, esprit plus singulier encore, Saint-Amant, toujours favori, toujours aimé, toujours nonchalant, laisse couler sa vie, sans souci des jours futurs ; les protecteurs sont dignes du protégé. Le médisant des Réaux prétend qu’il eut peu de succès auprès de Christine ; rien ne le prouve. D’autres contemporains affirment « qu’elle fit grand cas de lui, » et lui-même célébra dans son épopée la « fameuse Christine, » qui, dit-il :

Allant voir des vaisseaux qu’en guerre elle destine,
Tomba dans le Meller, et par cet accident
Pensa faire du Nord un funeste Occident.

Les voyages n’épuraient pas son goût et n’assuraient pas sa fortune. Lui qui comptait toujours sur son génie, et qui ne s’arrangeait pas des convenances imposées à un conseiller d’état et à un ambassadeur, s’ennuya bientôt de la Pologne et revint en France, avec la promesse que Marie de Gonzague prendrait soin de lui. Ses cheveux blanchissaient, sa verve de débauche expirait, la fantaisie écervelée de sa parole commençait à déplaire, et sa pauvreté tranchait avec ses prétentions. Les beaux-esprits le reçurent froidement, les grands seigneurs le délaissèrent ; on haussa les épaules lorsqu’à la table du coadjuteur il s’écria : « J’ai cinquante ans de liberté sur la tête ! »