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LES VICTIMES DE BOILEAU.

absorber comme une mer. Debout, rocher vivant, au milieu de ces fous, de ces fats, de ces estafiers, de ces spadassins, de ces amazones, il les voit se battre, boire, rire, chanter, conspirer, et tout en les contenant, il leur ressemble un peu. Il danse la sarabande, et Marion est sa maîtresse.

Certes, la poésie de Saint-Amant, dont vous venez de lire les fragmens épars, est bien la poésie de ces hommes farcis de galons, ombragés de panaches, remplissant leurs bottes de dentelles, luisant de cent couleurs ; fantasques sous le rabat, l’armure ou l’aumusse. Voyez Retz qui résume l’époque, la termine et la peint. Quel Catilina des brouillons, dont il fut aussi le Salluste ! Retz sera condamné à l’exil, et mourra dédaigné comme Saint-Amant, lorsque la France de Louis XIV, dégoûtée de la débauche, répudiera les héros politiques et littéraires d’une époque condamnée.

Nous sommes aujourd’hui bien placés pour la juger. La logique lui manque, elle vit de coloris, de détail et de caricature. Ses héros sont des bravaches ; ses plus grands maîtres ont des lubies exquises ou facétieuses. Elle ne possède pas de Raphaël, mais un Salvator Rosa ; ni un Michel-Ange, mais Rubens ; ni un Léonard de Vinci, mais Callot. Talens distingués, esprits fiers, caprices singuliers. Salvator conspire. Rubens est diplomate. Callot est un héros. L’un est l’ami de Mazaniel ; l’autre est l’ami de Spinola ; le troisième est le défenseur sublime de sa ville natale. Savoir-faire, audace, éloquence, que leur manque-t-il ? Ils représentent fièrement la souveraineté capricieuse des arts !

Emporté comme eux par l’imagination, la vivacité des sens et les boutades de l’esprit, mais comprenant moins bien les limites et les priviléges de sa mission, Saint-Amant est loin de les égaler ; il veut reproduire dans ses vers la grace et la violence des bizarreries contemporaines, l’ardeur de vie sensuelle qui éclate chez Rubens, la verve et la finesse de Callot, quelquefois l’horreur audacieuse de Salvator. Parodiste plaisant, versificateur souvent admirable, bon rimeur, il sent son génie, il s’y fie aveuglément, et ne revoit pas même les épreuves de ses ouvrages, que les imprimeurs remplissent de fautes grossières, et auxquels il s’adresse ainsi :

Hélas ! quand je vous voy, mes vers, mes chers enfans,
Vous que l’on a trouvez si beaux, si triomphans,
Errer parmi le monde en plus triste équipage
Qu’un prince mal aisé qui marcheroit sans page,
Quand je voy vos pieds nuds, vos membres mutilez,